Partie 1 – Les institutions des réseaux de vie

La complémentarité entre les 3 formes de propriété

La cause principale de l’échec du passage de l’assurance à la solidarité dans les systèmes de pouvoir repose sur les conflits qui existent entre les trois formes de propriété. Ces conflits n’existent pas dans les organisations en réseau. 

Depuis la mise en place de l’absolutisme royal après la destruction de l’ordre du Temple le vendredi 13 octobre 1307, la propriété commune gérée directement par les membres du groupe social a été interdite et depuis 1789, cette interdiction n’a pas été supprimée, au contraire, la primauté accordée à la propriété privée a été étendue aux moyens de production de la société industrielle avec toutes les conséquences politiques, économiques et sociales néfastes que nous subissons toujours.

La notion juridique de propriété, son utilité.

Dans une société, la propriété sert à déterminer une responsabilité et la nature d’un dommage qui ouvre l’action en responsabilité pour réparer ou indemniser ce dommage. Elle permet de mesurer les conséquences d’une violence qui s’est produite malgré l’exercice de la mission d’autorité et la minimisation recherchée des violences.

Dans un monde idéal et sans violences, il est possible d’imaginer l’absence de propriété. Une certaine philosophie complaisante avec ce genre d’idéaux et d’utopies s’emploie alors à développer la notion d’aliénation. La propriété devient ainsi source d’aliénation pour l’être humain et nous retrouvons ici l’idéologie et la doctrine marxiste. Mais en occultant la relation entre violences – mission d’autorité – responsabilité – propriété, ces philosophes et ces idéologies ont déjà conduit l’humanité aux pires crimes de guerre, génocides et crimes contre l’humanité. Sans propriété, il n’y a que l’irresponsabilité de chacun et de tous, surtout celles des tyrans, despotes et criminels en tous genres.

L’organisation du pouvoir et du commandement, c’est à dire un régime politique, va déterminer les relations entre les trois formes de propriété et sélectionner l’une ou l’autre comme fondement de la société qu’il veut développer.

Dans le respect de la mission d’autorité qui sert de fondement aux Réseaux citoyens de Vie, le régime politique de la démocratie directe locale participative que nous nommons les réseaux de Vie, détermine un droit de la propriété en conformité et en cohérence avec les deux valeurs fondamentales de l’humanité : l’amour et la paix. C’est notre propos que nous allons développer.

Le droit de propriété comprend deux aspects : ses éléments constitutifs et ses formes.

Les éléments constitutifs du droit de propriété ne posent pas de discussions. Il y en a trois :

  • le droit d’utiliser la chose (l’usus) ,
  • le droit de bénéficier des fruits de la chose lorsque l’on donne l’utilisation de cette chose à quelqu’un d’autre (le fructus)
  • et le droit de disposer de la chose c’est-à-dire le droit de la vendre ou de la détruire (l’abusus) .

Par contre au niveau des formes du droit de propriété, la question est beaucoup plus conflictuelle.

Il y a trois formes possibles :

  • la propriété individuelle,
  • la propriété commune gérée par le groupe,
  • la propriété collective gérée par d’autres membres extérieurs au groupe au nom de l’intérêt général qui doit réunir les citoyens et leurs dirigeants.

Les dirigeants politiques sélectionnent la forme de propriété qui sert leurs intérêts.

L’une des premières tâches des dirigeants au pouvoir est la sélection de la forme du droit de propriété qu’ils veulent utiliser.

Pour tout contrôler et décider, ils ont tendance à développer la propriété collective en développant une idéologie au service de leurs intérêts. Le stade le plus complet de cette gestion collective de la propriété a été le système de pouvoir communiste et les systèmes fascistes, nazis ou les dictatures. Le recours aux nationalisations illustre également cette utilisation de la propriété collective pour défendre l’intérêt général.

Les démocraties ont choisi d’accorder la priorité à la propriété individuelle mais celle-ci constitue une de leurs faiblesses car les représentants des citoyens doivent assez vite avouer leur impuissance puisqu’ils ne peuvent pas limiter chez les plus riches la volonté de s’enrichir toujours davantage.

Lorsqu’il n’y a pas la structure de l’état pour contrôler une économie, la propriété commune gérée par les membres du groupe social, est le fondement de la démocratie directe locale participative.

Dans notre troisième partie nous montrerons que les conflits entre organisations en réseau et systèmes de pouvoir reposent principalement sur le conflit entre ces trois formes de propriété. Pour le moment nous pouvons noter qu’il y a une relation très étroite entre la forme de pouvoir et la forme de propriété utilisée.

Propriété et paix.

Dans les organisations matriarcales et chez les peuples disposant de peu de ressources, les nécessités de la survie du groupe imposent l’utilisation de la propriété commune gérée directement par les membres du groupe au niveau local.

Dans notre quatrième partie, nous illustrerons ce point à travers l’exemple du peuple Moso et l’exemple des indigènes des îles Trobriand décrit par Malinowski. Un constat se dégage de cette réalité sociale : pour mettre en place les valeurs de paix et d’amour, pour maximiser la paix civile et minimiser les violences, la propriété commune est la seule capable d’apporter les conditions favorables à la cohésion du groupe.

La propriété commune

repose essentiellement sur des biens matériels, corporels qui le plus souvent se transmettent de générations en générations : les biens immobiliers, les maisons, les équipements de production : des outils agricoles, des bateaux de pêche, le matériel de cuisson ou de conservation des aliments, les moyens de défense immobiliers ou mobiliers, des moyens de santé.

La gestion de cette propriété commune immobilière repose essentiellement sur le droit d’utilisation, l’usus. Cette gestion est simple, évidente, comprise par tous. Elle se développe à travers la gestion des biens communs par les assemblées communales locales.

Le droit d’utiliser les fruits générés par ces biens immobiliers n’existe quasiment pas et le droit de disposer de ces biens immobiliers ne pose aucune difficulté : les biens construits par une génération va profiter évidemment aux générations suivantes qui vont s’enrichir de cette capitalisation des biens immobiliers en ajoutant de nouvelles constructions pour le bénéfice du groupe, de la ville, de la région…

Il n’y a donc pas de discussion sur la répartition des richesses produites : les bâtiments construits servent à développer la sécurité, le confort et le niveau de vie du groupe et des générations futures. Nous verrons dans notre troisième partie comment l’ordre du Temple a réussi à financer la construction des cathédrales et le réseau des commanderies et des maisons templières ainsi que le développement des villes libres par rapport à la propriété des rois.

La propriété individuelle

peut ne pas exister comme chez le peuple Moso, c’est une solution radicale pour éliminer les sources de conflits domestiques et quotidiens et favoriser durablement la paix et l’amour.

Chez les indigènes des îles Trobriand, la propriété des terres agricoles est individuelle car elle vient récompenser les familles qui participent le plus au défrichement des terres et à leur entretien face à la menace de la jungle. Mais ce sont les femmes ensemble qui cultivent les terres et le partage de la récolte se fait au prorata de la surface des propriétés individuelles. Plus la famille est nombreuse plus elle doit défricher les terres pour survivre, cette règle repose sur le bon sens et une logique rudimentaire compréhensible par tous.

La propriété collective

chez ces peuples premiers ou racines, elle représente le corps de savoir utilisé, les légendes qui structurent l’histoire du peuple, les connaissances sacrées qui composent le savoir médical ou l’utilisation des plantes pour guérir ainsi que les connaissances spirituelles liées aux mystères de la mort.

Cette propriété collective intellectuelle assure les liens sociaux entre les différents villages d’un même peuple. Elle est la concrétisation de la culture partagée par ces groupes sociaux et elle génère une utilité humaine différente des travaux réalisés pour le développement de la propriété individuelle ou de la propriété commune.

En principe les tâches qui garantissent le développement de la propriété collective sont confiées à des personnes qui ont reçu une éducation très poussée notamment à travers une initiation spirituelle et qui ont également reçu une formation longue et complète pour les mener à un niveau d’expertise dans l’utilisation des connaissances intellectuelles : scientifiques techniques et culturelles.

Les membres du groupe qui travaillent au développement de la propriété collective intellectuelle correspondent à ce que nous appelons aujourd’hui des managers chargés de créer et de développer la culture de groupe : ses valeurs, ses normes sociales et ses modes de vie. Ces personnes reçoivent une délégation du groupe pour développer leur expertise dans ces savoirs : elles sont dispensées du travail qui assure la survie du groupe, elles deviennent libres au sens des civilisations antiques grecques, égyptiennes…

Le risque social est connu : ces personnes instruites peuvent détourner les savoirs pour développer une idéologie au service de leurs intérêts personnels et au profit de leur conquête despotique du pouvoir pour transformer des réseaux de vie en système de pouvoir autocratique voire tyrannique. D’ordinaire, ce sont les maîtres spirituels et les poètes qui dénoncent ces dérives tyranniques et qui s’opposent à ces idéologies et à ces systèmes de pouvoir.

La complémentarité entre les trois formes de propriété.

Les organisations en réseau pour réaliser les valeurs de paix et d’amour, de solidarité, développent la propriété commune pour tout ce qui touche aux éléments matériels de l’existence humaine et elles font le choix d’utiliser la propriété collective pour tous les éléments immatériels liés à la gestion des compétences et des savoirs.

Nous avons vu précédemment que la remise d’un savoir à un groupe qui n’en dispose pas encore, représente la principale marque de solidarité au niveau social. La propriété individuelle vient alors compléter l’organisation sociale chaque fois qu’elle est nécessaire pour renforcer l’impact des propriétés communes et collectives sinon cette propriété individuelle est inutile car elle représente la source majeure des conflits dans le groupe en générant des querelles matérielles quotidiennes à propos de tel ou tel bien corporel.

Les systèmes de pouvoir ont pour caractéristique d’interdire la propriété commune.

En effet, les dirigeants des systèmes cherchent les moyens pour s’enrichir toujours plus afin d’accroître davantage la puissance de leur pouvoir sur le reste du groupe social. La propriété commune correspond à un partage équitable des richesses produites par les membres du groupe et donc elle interdit en réalité l’enrichissement des uns par rapport aux autres. Seule la propriété individuelle permet l’enrichissement des uns par rapport aux autres.

Il suffit alors aux dirigeants des systèmes de pouvoir d’accaparer la propriété collective en imposant leur idéologie, pour verrouiller leur système et interdire toute remise en cause de ce partage inégalitaire des richesses produites pourtant par l’ensemble du groupe.

Dans cette propriété collective développée par les dirigeants du système, le savoir va se limiter à des dogmes, à des mythes, au développement d’utopies pour faire croire aux groupes sociaux que le fonctionnement de ce système de pouvoir est légitime.

Cette manipulation sur les savoirs aboutit à un savoir très limité, parfois erroné et à des programmes marqués par l’idéologie dominante dans le système d’enseignement. La mise en place des interdits et des tabous sur les connaissances liées aux organisations en réseau renforcent davantage ce système de pouvoir en créant l’ignorance chez les membres du groupe sur l’alternative de l’organisation en réseau et principalement sur les possibilités offertes dans une organisation sociale par la propriété commune dans la répartition équitable des richesses.

Nous dénoncerons les mythes et les utopies de notre système politique, économique et social lorsque nous exposerons le fonctionnement des systèmes de pouvoir dans notre deuxième partie.

Cette complémentarité entre les 3 formes de propriété distribue les rôles principaux tenus par chacun des trois éléments du droit de propriété. Chaque forme accorde la priorité à un élément différent. Cette complémentarité s’organise dans un réseau selon la manière suivante :

Le droit de propriété dans les réseaux de vie sociale : éléments constitutifs et formes.

  • Usus: droit d’usage sur la chose.
  • Fructus : droit de percevoir des fruits ou de jouir des revenus tirés de la chose
  • Abusus : droit de disposer, vendre ou détruire la chose.
Type de PropriétéDroit de propriétéUsusFructusAbusus
Individuellela personne physique,
le couple.
l’entreprise expérimentale qui cherche la solution optimale.
Droit secondaire

il est naturel et ne pose pas de difficulté mais il n’est pas le plus important à ce niveau,
il est la conséquence logique de la volonté d’appartenir à un groupe ou de fonder un groupe.
Droit secondaire

 il dépend de la volonté contractuelle
Droit principal

il est reconnu dans le couple : chacun des conjoints à travers ses cadeaux s’occupe de développer les biens qui sont la propriété de son partenaire.
C’est une preuve d’amour et d’estime.
La manière dont la personne dispose de son patrimoine détermine son statut social et sa notoriété.
Cette expérience sera valorisée par des responsabilités dans la gestion de la propriété commune et collective.
Communela famille, l’entreprise,
les groupes sociaux locaux,
 les groupes d’échanges locaux,
les réseaux
Droit principal

Les membres du groupe utilisent les biens matériels : maison, objets mobiliers, biens d’équipements, biens de production. 
Ils travaillent pour accroître la valeur de ce patrimoine commun qui constitue pour eux une sécurité matérielle
le cas échéant si leur patrimoine personnel est détruit par une force majeure.
Droit secondaire

Chaque membre du groupe a le bénéfice d’une partie des revenus et peut transmettre cette part à ses proches. 
Ces droits sont à l’origine de la capitalisation des droits sociaux dans une économie non marchande
Droit inexistant

Les biens gérés en commun sont transmis à la génération suivante 
ou dévolu à l’organisation qui prend la suite de la première au niveau local.
La propriété commune reste attachée à son niveau géographique d’origine, elle est immeuble par destination. 
Un groupe ne peut pas être dépouillé de ses biens communs sinon c’est un cas de pillage dans le cadre d’une guerre.
Collectivele peuple, la nation, 
la confédération des réseaux
Droit secondaire

chacun, seul ou en groupe expérimente des biens
et des valeurs culturelles, humanistes
pour les développer et minimiser les violences collectives
Droit principal

la gestion des valeurs culturelles qui rassemblent les finalités individuelles ou des groupes sociaux profitent à tous les membres de l’organisation.
Ces biens culturels, ces valeurs sociales sont souvent héritées en tout ou partie des générations précédentes et sont transmises aux générations suivantes.
L’exemple d’un groupe social peut être repris comme cadre de référence par d’autres groupes qui l’adapteront à leurs particularités locales.
Droit inexistant

aucun pouvoir ne peut s’approprier les valeurs d’un peuple ou imposer son idéologie à des peuples,
encore moins envoyer à la mort des êtres humains pour imposer ses valeurs à d’autres.

Nous verrons dans notre quatrième partie comment le mouvement en réseaux de vie sociale entend mettre en place cette complémentarité entre les trois formes du droit de propriété.

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