Épisode 06 Le week-end à Baden-Baden
Partie 2/3
Leur rencontre du samedi soir
Il était 18h30. Le groupe avait écouté poliment la dernière phrase du poète. Frantz regarda sa montre. Il était temps de les inviter à se rendre chez un loueur de costumes. Les hommes doivent porter la jaquette ou le smoking pour entrer au Casino. Plutôt que de les louer à la caisse, il valait mieux les louer et s’habiller chez un commerçant et dîner avec. En habits, ils se rendirent à l’Europaïscher Hof. Le repas fut excellent mais la salle du restaurant était comble et ils durent faire des efforts pour bien se tenir en société. L’uniformité des habits de soirée correspondait à l’équilibre qui s’était créé dans le groupe. Pourtant ils discutèrent peu et cela les mit mal à l’aise.
Les confidences d’Anke et de Frantz
Au moment du café, Sepp fut le premier à relancer Frantz. Oui, qu’avait-il à nous dire ?
Frantz préféra leur parler dehors, à l’abri d’oreilles indiscrètes. La nuit d’été chaude et pleine de la rumeur des gens qui sont en train de vivre le moment le plus fort de leur journée, s’y prêtait à merveille. Ils regroupèrent en demi-cercle deux bancs et des chaises en dessous d’un réverbère du côté de la Trinkhalle, coin moins fréquenté que les abords du Casino. Anke s’assit sur les genoux de son époux, elle releva sa robe pour la fourrer entre ses cuisses puis tout sourire, elle narra leur histoire.
Elle racontait avec une voix dont l’intensité variait au rythme de l’émotion qu’elle voulait prodiguer. De sa main libre, elle orchestrait ses mouvements gracieux de la tête, la portée de son regard qu’elle plongeait tour à tour dans celui de son auditoire.
Anke, la belle Anke dont tous les hommes avaient déjà goûté à ses caresses et à la chaleur de son ventre, Anke que peu à peu toutes les femmes avaient envie d’approcher pour se fondre elles aussi dans le feu de ses étreintes, Anke jusqu’à présent si mystérieuse parlait de sa jeunesse, de ses amours avec Frantz…
Il est un fait que la jeunesse allemande de par le rythme scolaire a dans la journée bon nombre d’heures bien à elle. L’école finit tôt dans l’après-midi, les parents sont au travail. Certes, il y a là une des raisons du peu de natalité germanique car les heures de garde d’enfants sont nombreuses et reviennent chères mais pour l’adolescent, l’opportunité existe de devenir plus rapidement indépendant, du moins pour prendre ses marques dans une bande de jeunes. Selon la chance des uns et des autres, certains y trouvent des amitiés profondes, débutent une vie de couple dès 16 ou 18 ans ou pour les moins chanceux: traînent à la stammtisch d’une bierstub, se droguent, se divertissent en provoquant la violence, mode de plus en plus répandue ces dernières années…
Anke parla de leur clan d’une dizaine de garçons et de filles, les heures qu’ils passèrent ensemble à refaire le monde. Frantz jouait de la trompette et du saxo dans un petit orchestre de jazz au lycée. Elle s’entraînait deux fois par semaine et les week-end disputait des courses à pied dans le Bade-Wurtemberg ou la Rhénanie-Palatinat. En cadettes, elle avait couru le 4×800 mètres des championnats d’Allemagne. Frantz était déjà son amoureux notoire au lycée mais elle aimait parfois se faire accompagner par un copain d’athlétisme qui en cadet courait le 1000 mètres en 2 minutes 25 secondes et qui par la suite eut de brillants résultats sportifs.
Sa voix se fit plus rapide lorsqu’elle parla du couple d’étudiants qu’ils avaient par la suite rencontré. Un après-midi d’hiver, dans le froid et le brouillard, ils s’embrassaient sous un porche, ne sachant pas où aller lorsque ce couple les avait invités à monter dans leur appartement. La fille les avait installés devant la cheminée sur des peaux de moutons et par un mystère heureux, ils s’étaient allongés tous les quatre et avaient fait l’amour. Anke les remerciait aujourd’hui encore pour la simplicité et le naturel avec lesquels ils s’étaient mis nus pour mieux avoir chaud près du feu et partager plus aisément la chaleur de leur intimité. Ils n’avaient rien à s’apprendre sur l’amour, par contre ces étudiants les avaient entraînés dans l’action politique chez les Verts et dans le mouvement alternatif. Anke y avait trouvé la confirmation de ses aspirations à vivre dans la nature et à la goûter à travers ses exercices physiques au grand air, le plus souvent nue.
Les randonnées en haute montagne et le ski de fond.
Le couple d’étudiants avec leur vieille voiture les emmenaient en montagne et ils prirent goût aux randonnées alpines dans le Tyrol, l’Oetztal, le Pitztal ou en Suisse dans l’Oberland, le Valais, la Silvretta.
Les nuits en refuge, les bains nus dans les lacs de montagne, leurs amours sur la mousse au pied des sapins dans ces belles forêts d’altitude, les arêtes de neige de la Wildspitze près de Vens et d’Obergulg ou en grimpant par Mittelberg, celle de la Weismies au-dessus de Saas-Grund, celle du Nadelhorn au-dessus de Saas-Fée, celles du Mont-Rose atteintes depuis Zermatt décrivirent les limites d’un monde que leur jeunesse ardente forgeait superbement et leurs cordées dans la lumière du premier matin, montaient d’un seul trait jusqu’aux sommets à plus de 4000 mètres.
L’hiver, Anke faisait des compétitions de ski de fond et les autres l’accompagnaient ou couraient également lors d’épreuves de masse. Ils avaient participé une fois en Italie à la Marcialongua et l’accueil de ces villages de paysans de montagne du côté de Moena et de Cavalèse, le départ au coup de canon, la fête à l’italienne sous le soleil et dans l’éclat de la neige, la crainte d’arriver une fois la nuit tombée, la course contre le soleil qui décline derrière les sommets, la joie de réussir, la fatigue qui les faisait s’écrouler dans les bras les uns des autres fondaient leurs amours en un cristal conservé magnifiquement à force d’éprouver leur jeunesse sous la clarté la plus pure, le ciel le plus bleu et le plus calme, le soleil le plus fort !
Jour après jour, elle avait appris parmi eux à se découvrir belle, pleine de vie et d’envie de vivre.
Anke se tut un long moment, le groupe comprit qu’elle avait quelque chose à ajouter à cette histoire charmante d’une adolescence somme tout heureuse. D’où venait l’argent qu’ils avaient mis dans le capital de l’entreprise ?
La rencontre avec Arnim.
Anke poursuivit plus lentement. Elle donnait à chacun le temps de bien comprendre pour qu’ensuite il n’y ait pas de méprise.
L’argent provenait de spectacles érotiques et de soirées particulières auxquels ils participaient depuis plus de deux ans. Un jour, alors qu’ils étaient allés faire du naturisme à une gravière le long du Rhin, côté français, un vieil homme de plus de soixante-dix ans, Arnim, était venu les aborder.
Anke avoua qu’à cette gravière très spéciale, des couples venaient vers 17-18 heures faire l’amour dans les hautes herbes devant des colonies de voyeurs. Ce soir là, ils avaient fait l’amour devant une dizaine d’hommes qui allaient et venaient d’un couple à l’autre. Arnim les avait regardés sans bouger puis avait rompu le cercle qui maintenait à distance les voyeurs. Il leur avait proposé de faire l’amour devant une quinzaine de couples de personnes âgées dans un château près de Pforzheim. Pour ce qu’ils venaient de lui montrer, ils auraient 500 Euros et pourraient gagner 2 500 Euros et plus s’ils acceptaient de pousser plus loin leurs exhibitions. Ils allèrent au rendez-vous.
Ce groupe d’anciens était formé de riches propriétaires faisant partie d’une ancienne aristocratie terrienne et de vieux industriels, de quelques notables érudits ayant exercés dans l’enseignement ou les professions libérales et ils semblaient être liés par une histoire commune dont Anke et Frantz estimaient l’origine aux années de la seconde guerre mondiale.
Les châteaux et villas dans lesquels ils organisaient deux fois par mois ces soirées possédaient parcs, piscine couverte, sauna, jacuzzi. Il était clair qu’ils avaient soigneusement préparé le déroulement de chacune des soirées ainsi que la gradation des exercices imposés aux jeunes couples présents avec qui, le spectacle terminé, ils faisaient librement l’amour.
Tous parmi les anciens cultivaient assidûment leurs corps et le ventre des hommes aussi bien que des femmes était étonnamment musclé. Cela avait frappé la professeur de sport et elle s’était doutée que ce groupe suivait une discipline physique liée à une pratique mentale élevée. Leurs manières très policées et leurs discussions souvent érudites renforçaient cette idée d’une pratique mentale collective et assidue.
Les soirées spéciales.
Très souvent, ils demandaient à 6 ou 8 couples de concourir dans des épreuves de plus en plus spéciales et le couple qui gagnait empochait une jolie somme. Avant même que le groupe ne réagisse, Anke leur confia qu’elle avait gagné tous les concours auxquels elle avait participé.
Ces concours n’avaient rien à voir avec les jeux érotiques des clubs de rencontres pour couples. Sans triomphalisme, sur un ton neutre, elle énuméra quelques-unes unes des épreuves dont elle s’était le mieux sortie dans le club d’Amadeus et Regina : faire éjaculer sur son visage le plus rapidement une vingtaine d’hommes de tous âges, faire jouir quasiment en même temps six femmes, recevoir le plus de coups de fouet et de suite faire l’amour à un homme en utilisant sa douleur dans un élan d’une sauvagerie qu’elle ne se connaissait pas. Dans les concours, c’était autre chose. Elle raconta avec une voix plus faible comment, une fois, sur le sable du manège, elle avait gagné le concours qui l’opposait à six autres femmes. Nues, elles devaient masturber sept étalons que tenaient quatorze écuyers en tenue. C’est elle qui caressa le mieux son étalon, le fit jouir à en recevoir sur son corps le plus de sperme.
Ses exploits lui valurent la possibilité de faire un exercice unique: toujours dans le même manège. A la lumière des flambeaux, elle devait nue apprivoiser un bouc dans la force de l’âge pour arriver à l’exciter sexuellement. Anke raconta comment elle parvint à se frotter contre lui et à le masturber jusqu’au moment où elle se glissa sous lui et arriva à faire pénétrer son sexe en elle. L’animal plus calme dans sa fornication lui permit de s’exhiber dans plusieurs positions et finalement, elle reçut sur elle la semence du bouc. Elle vint se coucher cuisses grandes ouvertes dans la tribune et chacun, chacune vint lui caresser le sexe pour imprégner ses doigts de ce liquide particulier et s’en frotter la poitrine au-dessus du cœur. Les hommes et les femmes restèrent poitrines nues et elle redescendit dans le manège avec une corde et un couteau. Par surprise alors que le bouc cherchait à la reprendre, elle lui lia les pattes pour l’immobiliser. A genoux, elle coucha sur ses cuisses la tête de l’animal et celui-ci se calma sous la caresse de la femme qu’il venait de saillir. D’un coup de couteau, elle l’égorgea et lui tenant solidement la tête, elle fit répandre sur son corps le sang chaud de l’animal. Puis lorsque ses convulsions faiblirent, elle fit couler le sang dans une bassine. L’animal mort, elle se releva pour saluer la tribune.
Quatre écuyers vinrent alors la prendre pour l’attacher dos sur le sable à quatre piquets qu’ils enfoncèrent dans le sol. Les hommes vinrent nus devant elle pour la badigeonner entièrement de sang puis l’un deux se coucha sur elle pour la pénétrer. Lorsqu’il eut éjaculé, une femme nue se coucha tête bêche sur elle pour lui lécher le sexe et y boire le sperme de son mari. Les couples se succédèrent ainsi jusqu’au dernier. Pas un seul homme ne se priva d’éjaculer en elle et il y eut assez de sang pour que tous l’en enduisent à nouveau. Enfin à tour de rôle en petits groupes de 3 à 4 personnes, hommes et femmes mélangés vinrent s’approcher au-dessus d’elle et la laver de ce sang en lui urinant dessus et en la frottant de leurs deux mains. Lorsque presque tout le sang fut enlevé, ils la détachèrent et tous allèrent se baigner dans la rivière qui parcourait le parc. Propres à nouveau, ils s’installèrent en cercle sur la pelouse.
Anke s’explique.
C’était une nuit de pleine lune et la chaleur de l’été persistait en plein milieu de l’obscurité. Ils passèrent de longues heures à questionner Anke et à discuter de son expérience.
Elle leur avoua avoir aimé le contact avec l’animal, sa chaleur, sa fourrure, ses comportements logiques, la montée de sa pulsion sexuelle en présence de son corps de femelle. Elle avait aimé se glisser sous lui, se mettre à quatre pattes pour mieux se faire lécher le sexe par l’animal. Elle parlait de la force du bouc et de la force à elle avec laquelle elle avait agrippé ses cuisses au flanc de l’animal pour faire entrer son sexe dans le sien. Lorsqu’elle s’était couchée pour mieux lui permettre d’éjaculer en elle, elle avait admiré l’agilité avec laquelle il l’avait saillie en ne se reposant pas sur elle et en étant pas plus lourd qu’un homme qui se vautrerait entre ses cuisses. Elle avait aimé ce partage improvisé du foutre de l’animal et de sa cyprine sur les bancs de la tribune; c’eut été dommage de garder cela pour elle ou de le voir se répandre entièrement sur le sable. Le sang du bouc sur son corps avait été un moment fascinant et elle était encore sous l’envoûtement de ce supplice attachée par les quatre membres à recevoir l’accouplement avec chaque homme, chaque femme, le sang tiède du bouc entre eux.
Maintenant en ce début de soirée, elle comprenait que l’humiliation faisait partie du rituel pour ne pas laisser son pouvoir fatal sur l’animal perdurer et pour la ramener après avoir été sous la coupe d’énergies primaires, sous le pouvoir plus servile des hommes ; ce qui était sa condition première d’hétaïre.
Elle raconta que plus tard dans la nuit, tous avaient revêtu la même tunique blanche puis au petit matin, entre couples légitimes, avaient refait l’amour sur la pelouse avant de se séparer.
Anke leur disait qu’elle comprenait l’interdit jeté par la société sur ce genre de pratique car il y avait bien plus de risques d’en garder des souffrances et des souillures que de chance d’en ressortir triomphant. Les épreuves précédentes l’avaient préparé à cette cérémonie particulière.
A la demande du groupe des anciens, elle s’était imprégnée de l’image d’une prêtresse antique qui domine sa féminité pour vaincre la bestialité que doit combattre le clan. Elle avait montré dans sa lutte entre l’amour et la mort comment vaincre la bête et démontré aux hommes qu’avec leurs forces de chasseurs ils étaient en mesure de protéger et de nourrir le clan en domptant puis en tuant l’animal. Ce n’était plus de la zoophilie. C’était un rite sauvage mais vrai qu’elle avait accompli, un rite qu’elle savait avoir déjà vécu chez d’autres peuples, un rite primaire où se mêlent les raisons de vivre et de mourir et où la femme après avoir utilisé toutes les ressources de sa féminité conforte la vie parmi le sang, le sperme, l’urine et la mort. Comme il n’est pas possible de conduire ce rite en tuant un être humain, il y a utilisation d’un animal. C’est la seule raison de la présence d’un animal dans ce rite.
Pierre jeta son regard sur Laurie pour lui signifier qu’Anke en fait de shakti, valait certainement bien mieux que Laurie. Celle-ci lui retourna le regard pour lui faire comprendre qu’elle était loin d’avoir dit son dernier mot, que tout ceci n’était qu’improvisation et non pas rites établis comme ceux du tantrisme.
Laurie et les dâkini
Laurie s’approcha de Pierre pour lui glisser à l’oreille que dans l’hindouisme classique tout comme dans le bouddhisme, il y a les dâkini, démones mangeuses de chairs crues, démones que le tantrisme intègre sous le nom également de shakti ! Et puis il y a les siddha, personnages dangereux qui vivent dans les champs de crémation parmi les cadavres en se recouvrant de guirlandes d’ossements humains, qui boivent l’alcool dans les crânes, forniquent avec leurs propres mères, sœurs, filles quand ce n’est pas avec les dâkini ! Anke en était encore très loin avec son histoire de bouc mais c’est vrai, Laurie le reconnaissait, Anke l’avait fait et ce n’était pas pour elle une histoire lue dans les traités de tantrisme !
Par contre pour citer également des faits véridiques, Laurie parla de ces quelques hommes qui au cours de combats avaient été égorgés par les tchetniks et avaient eu la chance d’être ramenés et soignés par leurs compagnons de combat. A l’inverse des prisonniers égorgés aux couteaux ou à la tronçonneuse qui tous mouraient, ces quelques cas qui avaient survécu permettaient à Laurie d’afficher une expérience de l’horreur cette fois-ci humaine sans comparaison possible avec le sacrifice théâtral d’un bouc !
Anke et le jeu de la vie et de la mort
Anke se tourna vers Pierre pour lui affirmer qu’elle ne pouvait en dire plus sur cette expérience liée à l’indicible mais que tous devait la croire. Elle n’était pas partisane d’avoir à la maison un grand chien pour en secret le dresser à s’associer aux jeux amoureux, à lécher un sexe féminin, le pénétrer. Pire encore, elle connaissait certaines femmes qui vendaient sous le manteau des cassettes vidéo présentant leurs scènes de zoophilie pour, avec l’argent récolté, afficher outrageusement leur nouvelle richesse en ville, notamment leurs nouveaux manteaux en fourrures ! Elle considérait cela comme du vice, une voie détournée pour augmenter son seul plaisir personnel en utilisant un animal et comme une attitude sociale scandaleuse.
Par contre, elle n’avait pas regretté cette lutte avec le bouc car elle avait pu lui donner un sens. Dans cette épreuve, elle n’avait pas pris que du plaisir, elle avait du également surmonter sa peur, sa réticence à tuer, sa peine de voir mourir l’animal. Tous avaient utilisé avec respect le sang de l’animal et le répandre sur le corps d’Anke avant de s’en imprégner avait été une réelle offrande pour célébrer le culte du mystère de la vie des hommes qui doivent tuer l’animal pour préserver leurs places sur terre. C’est grâce à cette capacité que sa prestation avait suscité l’intérêt du groupe des anciens et que ces derniers lui avaient fait une place particulière et donné une rémunération plus conséquente parmi toutes les jeunes femmes qui se donnaient en spectacle devant eux moyennant finances.
Anke regrettait cependant que leurs discussions soient restées au plan intellectuel. Alors qu’elle avait joué avec le jeu de la vie de la mort, elle aurait souhaité entrer dans un échange plus spirituel.
Le sacrifice du bouc.
Le sacrifice du bouc valait bien cela et son apparition de prêtresse de je ne sais quel rite ancien pouvait inciter largement le groupe à discuter de la vie et de la mort, du passage de l’un à l’autre !
Maintenant qu’elle avait appris à égorger, peut-être pouvait-elle mieux aider Laurie à soigner ceux qui ont été témoins de séances collectives d’égorgement. Sans entendre ce que Laurie venait de murmurer à l’oreille de Pierre, elle savait que Laurie avait inévitablement été mise en contact avec de telles horreurs.
Elle avait lu les témoignages sur les atrocités commises en Bosnie durant l’été 1992 et ces derniers corroboraient les histoires racontées par les réfugiés qui étaient venus habiter son quartier : comment des jeunes gens avaient été couchés sur un tronc d’arbre, les mains liées dans le dos puis comment les bourreaux leur tiraient la tête en arrière par les cheveux avant de trancher les gorges. Elle savait elle aussi que d’autres victimes avaient été allongées sur le dos, la nuque courbée sur une poutre et qu’un bourreau avec une tronçonneuse procédait aux égorgements en série devant les rangées des victimes suivantes qui devaient regarder[1]. Là se trouve l’horreur, le crime contre l’humanité !
Mais qui dans leur groupe rassemblé sur la pelouse devant le Casino pourrait la croire lorsqu’elle prétendait que le bouc ne s’était pas débattu et qu’il avait accepté de mourir comme un amant fou d’amour peut accepter la mort donnée par sa maîtresse ? Comment expliquer cette force psychique de part et d’autre pour braver la mort ?
Elle aussi, comme le poète, comme Laurie, se heurtait à la difficulté de traduire l’indicible.
Le groupe des anciens avait compris comment le bouc était mort vaincu par la force psychique dont Anke s’était emparée et c’est la raison pour laquelle Frantz et elle continuaient de les voir car le groupe avait respecté cette force de la prêtresse… et ne lui avait plus demandé par la suite d’y recourir.
Pierre se hasarda à interrompre Anke.
Le sacrifice du bouc faisait bien partie d’un rite orgiaque, celui de Dionysos chez les Grecs. Les femmes en furie après avoir fait à peu près la même chose qu’Anke, tuaient l’animal puis mangeaient sa chair crue et buvaient son sang. Après avoir mangé sa chair et bu son sang, elles pouvaient renaître à la vie, à une nouvelle perception de la vie et de la mort plus étroitement liée aux mystères et au respect de ces mystères.
Dionysos peut être considéré comme un frère spirituel de Jésus, tous deux abordent le mystère de la communion selon la chair et le sang, étape indispensable pour aborder le mystère plus profond de la résurrection de la chair. Mais le poète ne voulut pas ce soir déjà entreprendre ce cheminement spirituel. Il laissa la parole à Anke.
Elle poursuivit son récit ; ce n’était pas encore fini !
Cette expérience lui avait permis de se voir présenter par Arnim d’autres hommes… des hommes seuls cette fois-ci et le plus souvent en uniforme !
Grâce à sa prestation dans l’arène, Anke avait eu droit à un traitement spécial. Arnim servait en fait de rabatteur à ce groupe des anciens pour leur offrir la docilité de jolies jeunes femmes. Il pouvait ensuite sélectionner l’une ou l’autre des ces jeunes femmes et les présenter à d’anciens nazis qui n’avaient toujours pas rompu avec la doctrine national-socialiste.
Les groupes d’hommes en uniformes
Ils quittaient à l’occasion leurs costumes civils de cadres supérieurs ou de dirigeants pour remettre celui qu’ils avaient porté dans leur jeunesse. Les liens entre ces quelques hommes et le groupe des anciens devaient se retrouver à travers quelques événements de la dernière guerre et ces petits services entretenaient une compromission générale gage du silence nécessaire aux activités de chacun et à la bonne gestion de fonds secrets qui leur permettaient ce train de vie.
Anke était amenée les yeux bandés dans les lieux de rencontre. Elle ne devait jamais parler que par gestes. En fait les exercices étaient moins difficiles.
Ces hommes à l’esprit dérangé étaient le plus souvent très fatigués par leurs voyages ou par le décalage horaire. Ils se comportaient plus en voyeurs, satisfaits du plaisir d’avoir à leurs bottes les charmes rares d’une belle jeune femme nue. Par contre le danger était important et réel car le secret devait rester absolu. La somme d’argent en échange était rondelette et dépassait toujours les 5.000 Euros. Au bout d’un moment, les filles étaient changées et on ne les revoyait plus.
En discutant avec Frantz, Anke avait compris que ces hommes durant leur jeunesse avaient adhéré à des rites secrets de chevalerie qui, avant la guerre, furent une réminiscence des ordres chevaliers teutoniques. Ces soldats se comportaient en chevalier à la conquête d’un nouvel empire. Frantz le répéta, ces hommes avaient été trahis par les dirigeants nazis. Ils n’avaient strictement rien à voir avec ces bandes d’assassins incultes que les chefs nazis envoyèrent dans les rangs de ces soldats pour derrière eux commettre des génocides et des crimes contre l’humanité.
La plupart de ces soldats furent tués au front et d’autres revenus du front pour dénoncer les erreurs et les crimes nazis furent sommairement liquidés.
D’une main Frantz calma les réactions de Gérard et de Patrick comme pour leur dire qu’il était prêt le moment venu à discuter sur ce sujet.
Pierre leur fit signe aussi de se calmer, ils auraient le temps de sonder un jour ce sujet tabou !
La majorité du groupe comprit que Frantz idéalisait l’existence d’une improbable minorité de chevaliers au sein de l’armée allemande avant 1939.
Anke reprit la parole.
Elle avait compris qu’ Arnim avait fait une exception pour elle car elle avait pu revenir avec Frantz à des soirées plus conventionnelles du groupe des anciens. En dernier, elle avait tout de même connu toujours pour ces motifs de sécurité, une certaine disgrâce mais Arnim venait régulièrement prendre de leurs nouvelles et … les surveiller.
Pierre et les autres comprirent mieux l’attachement de Frantz aux idées de Dan sur la sécurité dans leur entreprise !
Les souvenirs de guerre.
Anke revenait à son idée. Le groupe des anciens n’arrivaient pas à aborder les domaines de la spiritualité la plus haute alors que les exercices qu’ils imposaient demandaient les qualités humaines comment dire, d’une race supérieure !
Ils mélangeaient une conception dramatique et absurde de l’existence humaine avec leur construction particulière d’une certaine sagesse pas forcément athée. Il fallait une grande maturité, un courage sans faille, une réelle force athlétique, une lucidité à toutes épreuves, une confiance dans ses limites pour toujours faire la part du théâtre et de la réalité.
Anke se souvenait de ces femmes qui avaient craqué en cours de soirée avec des crises de nerfs, des révoltes intellectuelles, par fatigue aussi alors que leur anxiété avait miné toutes leurs forces, par manque de connaissance intime pour résister à certaines douleurs, pour croire qu’une certaine posture, qu’un certain acte serait une humiliation qui à jamais les marquerait.…
Qu’était-il advenu de ces femmes brisées qui ne sauraient plus se taire et qu’il fallait faire taire ?
A travers ces questions le groupe des anciens entretenait un voile mystérieux et inquiétant sur ses réelles motivations.
Anke disait qu’à travers les activités du club des anciens, les femmes de leur groupe pouvaient cependant acquérir cette force intérieure capable de les aider à franchir ces épreuves et donc capable de leur faire aussi gagner beaucoup d’argent. En six mois chacune pourrait se faire plus de 50.000 Euros sans parler des gains qu’une fille comme Laurie arriverait à se faire !
Anke le rappelait, ces soirées avaient été chaque fois longuement préparées par les anciens. L’argent qu’ils distribuaient sans pingrerie semblait provenir d’un trésor inépuisable car il ne limitait aucune de leurs exigences ou marottes. Anke et Frantz étaient convaincus qu’il provenait d’un butin de guerre bien dissimulé et probablement conforté depuis par les revenus des grands domaines d’Amérique du Sud ou des entreprises d’Amérique du nord dans lesquels la plupart des anciens possédaient des actions.
Dans les scénarii, il y avait comme un parcours initiatique pour révéler les qualités les plus fortes de l’être humain face aux malheurs, à la douleur, au mépris des autres et celle qui réussissait était certaine ensuite de devenir beaucoup moins facilement une victime des autres. Ce qu’elle avait vécu au cours de ces soirées faisait partie du drame de la vie, de la vie guerrière : se faire violer par une vingtaine d’homme, devoir tuer un animal, être humiliée à travers des pratiques spéciales.
Anke prit à partie Laurie. Elle au moins savait ce que les hommes, dans la réalité de leurs cruautés, sont capables de faire, surtout en temps de guerre lorsque la société et le pouvoir leur donnent carte blanche et que la femme devient subitement le premier objet de leur butin.
Il semblait à Anke que les scènes qu’elle devait jouer étaient liées à des souvenirs de guerre mais elle précisait que les anciens voulaient les revivre parce qu’ils ne les avaient pas vécues à l’époque et parce qu’ils voulaient ainsi s’associer au drame de leur peuple soumis à la honte de ses bourreaux comme pour mieux s’en exorciser et devenir plus fort que ceux de leurs compatriotes restés par faiblesse dans le silence et l’opprobre.
Le groupe des anciens dégageait une force collective, une foi, un positivisme voire parfois un humanisme empli de réalisme sidérant.
Ce côté morbide pouvait faire penser aux tableaux de Dürer dans lesquels la mort personnifiée rode constamment.
Anke n’avait pas que des témoignages sur la Bosnie, elle pouvait indiquer des cas tirés des dépositions des victimes des bourreaux de la Gestapo qu’elle avait personnellement parcourues : non seulement les chiens copulaient avec les femmes mais sitôt après, les mordaient et les saignaient à mort, aux pieds des bourreaux… et Anke pouvait citer des noms !
Le groupe des anciens semblait revivre ces événements horribles comme pour s’en exorciser. Anke avait très vite compris que dans la finalité même de l’exorcisme, il ne fallait plus que les acteurs meurent et cette connaissance lui avait permis de continuer cette expérience hors du commun.
Célébrer le rite de la cruauté des hommes pour mieux s’en préserver, pour ne pas devenir trop rapidement et facilement par abandon, des victimes consentantes : ce programme, d’après Anke, pouvait s’inclure dans les activités du club et ces anciens faisaient de parfaits moniteurs pour leur apprentissage !
Pour conclure, Anke souhaitait surtout depuis leur rencontre chez Amadeus, que ce rite les amène de l’autre côté, vers la recherche d’un bonheur, d’une douceur supra humaine totalement à l’opposée de ce genre de cruauté. Il ne faut pas simplement connaître les maux, il faut aussi savoir en tirer des remèdes pour supprimer un jour tous ces maux !
C’était la conclusion d’ Anke. Elle et Frantz avaient besoin de partager cet indicible, de créer un autre groupe totalement à l’opposé du groupe des anciens et surtout ils avaient besoin de ne pas rester seuls et prisonniers de ces souvenirs morbides et bizarres.
Laurie et les bourreaux, les criminels à soigner
Laurie s’intéressait aux déclarations d’ Anke et de Frantz.. En fait, les hommes et les femmes de leur groupe qui avaient éprouvé le besoin de dépasser les limites conventionnelles des comportements admis chez Amadeus, éprouvé le besoin de parler et de se raconter par delà les caresses, les baisers, les étreintes charnelles échangées dans le silence ou parmi des conversations banales vouées à ne pas trahir le secret de leurs vies quotidiennes et la sécurité de leurs positions sociales, vivaient des événements qui l’intéressaient au plus haut point.
Ce besoin de parler cachait le début d’une thérapie officieuse dans laquelle elle pouvait intervenir implicitement et, à travers les déclarations d’ Anke, Laurie entrevoyait la possibilité d’arriver jusqu’aux bourreaux eux-mêmes. Plutôt que de soigner comme toujours les victimes, Laurie voulait dorénavant soigner les bourreaux potentiels avant qu’ils ne commettent leurs crimes.
Certes l’expérience d’ Anke se concluait par un propos similaire au but du tantrisme et Laurie venait de se découvrir une sœur spirituelle. Mais elle s’attacha davantage à réfléchir sur le but que Pierre lui avait indiqué le week-end dernier sur le rocher au-dessus de la forêt palatine.
Supprimer un jour tous ces maux ! Par quel chemin ? Pourtant dans la voix de Pierre, il semblait si évident. C’était une question d’hommes face à d’autres hommes, d’une foi en des valeurs profondément humaines contre des attitudes inqualifiables de cruauté et d’injustice.
Dan, le soldat et les criminels de guerre
Dan dit à sa femme qu’il se sentait prêt à affronter ces idéologues criminels qui ont conduit au désastre toute une armée de valeur et Frantz pouvait avoir quelques raisons à ses yeux d’officier, de distinguer des soldats à la bravoure particulière de ces Einsatzgruppen chargés du génocide et que les dirigeants nazis avaient mélangé à ces quelques soldats qui s’étaient découvert une motivation de chevalier et qui au fil des combats devinrent de moins en moins nombreux.
Cette confrontation l’attirait et il pressentait qu’il y trouverait matière à approfondir davantage encore sa vocation de soldat dans le choix de la cause pour laquelle il était prêt à donner sa vie.
Dan questionna directement Frantz.
Pouvait-il lui confirmer que ce groupe des anciens était mêlé à des réseaux néo-nazis ou d’extrême-droite et ce depuis la Russie jusqu’en Amérique ?
Frantz confirma que tel étaient ses déductions. Frantz insista pour que le groupe fasse la distinction entre les soldats de la Wehrmacht dont Arnim fit partie, les soldats SS qui combattirent sur le front dont il fallait enlever les Einsatzgruppen, ces commandos de tueurs qui opéraient derrière le front, et les dirigeants nazis aussi bien civils que présents dans les armées qui décidèrent de la guerre et des crimes de guerre.
Arnim n’avait pas été SS mais avait combattu à côté d’eux dans les neiges de Russie en tant qu’officier des Gebirgsjäger. Par contre, pour des motifs qu’il ne connaissait pas, ce groupe des anciens lui semblait être sous les ordres d’anciens SS, d’anciens soldats d’élite combattant le communisme comme le capitalisme et non pas sous les ordres d’anciens acteurs du génocide.
Ces vétérans SS ainsi que le groupe des anciens étaient tous deux, semblait-il toujours, sous la menace des néo-nazis qui cherchaient d’une part à se railler ces anciennes gloires pour leur notoriété et d’autre part, à faire main basse sur le trésor de guerre pour financer leurs actuelles activités.
Frantz tenait à ce que cette distinction soit respectée sans quoi, il avoua qu’il aurait eu tort d’en avoir parler cette nuit !
Dan en conclut qu’une investigation plus poussée à partir du groupe des anciens pouvait donc les rapprocher des criminels qui sévissaient en Bosnie ou soutenaient ce conflit.
Sepp et Sandra firent part de leur profonde réticence à soulever à nouveau ce pan de l’histoire de leur pays que depuis longtemps, ils avaient enfoui dans l’oubli. Pour eux, l’histoire était simple : ce sont les pays européens qui en laissant faire Hitler sont les principaux responsables de ces événements !
Le peuple allemand fut plongé dans une misère noire que les autres pays européens ne connurent pas à ce stade ; il ne pouvait pas être tenu pour responsable simplement parce qu’il avait voulu s’en sortir rapidement et efficacement en suivant celui qui s’était présenté comme un guide. L’intervention du couple acheva la discussion sur ce sujet. Tous comprirent qu’un jour il serait obligatoire pour eux de régler correctement cette question. Ils savaient maintenant d’où venait l’argent avec lequel ce week-end était financé et personne ne souhaitait se compromettre d’une quelconque manière avec ce genre d’histoire.
Le groupe se rend au Casino
Avec nonchalance et pas mal de démotivation causée par ces dernières révélations d’ Anke et de Frantz, ils se dirigèrent vers le Casino.
Patrick fit le guide. Ils attendirent Frantz qui passa à la caisse acheter des jetons. Chaque femme reçut une demi-douzaine de jetons de 2-5-10 Euros. Munies de leur sésame, elles prirent pour cavalier le premier homme qui passa à portée de bras. Evelyne, un peu seule, reçut la promesse des femmes que le moment viendrait où elles lui laisseraient leurs hommes à sa disposition. Laurie lui certifia également qu’elle aurait toutes les femmes à sa disposition, ce qu’en riant elles acceptèrent.
Sur-le-champ, Sepp réussit à lui prendre le bras et ainsi entouré, il se planta devant la porte du Wintergarten qu’un garçon en tenue lui ouvrit. De forme elliptique, cette salle aux couleurs blanches, ses lustres, sa coupole portent les marques du style Louis XVI. Pour décorer les piliers qui font saillie, des vases chinois placés à mi-hauteur font ressortir leurs teintes bleutées. Entre les piliers, des niches mettent en valeur des statuettes montées sur piédestal. Patrick leur fit remarquer dans la niche à côté de l’entrée, la fontaine du printemps.
Mais déjà, ils avaient aperçu les tentures de la salle rouge qui sur la droite leur faisait face. Les tentures de rouge vif, la dorure des encadrements des portes fascinaient le regard. Ils s’arrêtèrent au milieu de la salle pour regarder les fresques du plafond. Les lustres dorés qui brillent de mille feux, la grande glace ovale dessus la cheminée toute sertie d’enluminures dorées donnent à cette pièce un petit air de Versailles dans le style Louis XIV.
Sur les tables de jeu, les roulettes rouges président parmi les tapis verts bordés de la couleur blanche des tables. Les chaises blanches aux coussins rouges, la moquette toujours aussi rouge ajoutent à la chaude harmonie de la pièce conçue pour vous retenir le plus longtemps auprès des tables de jeux même lorsque la mauvaise fortune vous assombrit tout à coup l’avenir radieux que vous vous étiez préparé.
Mais déjà quelques curieuses avaient traversé la salle pour s’agiter devant les miroirs du salon Pompadour. Le style Louis XV est bien représenté dans l’éclat de ses tons dorés et blancs depuis la magnificence des cristaux des lustres jusqu’aux moulures ciselées et dorées qui encadrent les grands miroirs muraux. Le canapé rouge devant le mur du fond gauche et surmonté du portrait de la Pompadour faisait bien des envieuses mais les places étaient prises et le groupe poursuivit sa visite.
Ils arrivèrent dans la salle florentine de style Louis XIII. L’atmosphère dans un premier temps leur parut plus austère à cause de la teinte verte des couleurs mais en prenant le temps de scruter les grandes fresques d’où le vert italien ressort, vous perceviez tout l’intérêt de passer un moment en compagnie de ces tableaux.
Patrick leur expliqua que la coupole en surélévation par rapport au plafond permettait à un orchestre de s’y tenir sur le pourtour. La musique descendait alors depuis les voûtes sur le public et l’orchestre restait invisible.
Ils revinrent dans la salle blanche du Wintergarten pour passer sur la droite dans une salle d’aspect plus moderne. Au fond, à gauche se tient sur une petite tribune un bar avec son comptoir circulaire et quelques tables rondes et chaises aux parures un peu désuètes. Enfin, par les portes vitrées, le public accède au jardin d’été. Les hauts draps rayés bleus et blancs délimitent comme des tentes de chevaliers d’autrefois et dessinent des cours carrés où des tables et des chaises blanches invitent à prendre le frais surtout lors des chaudes soirées d’été.
Au bout du jardin, dans un endroit plus retiré et sombre, un groupe venait de se lever et ils purent prendre leurs places. Anke ne s’assit plus sur les genoux de son mari, elle n’avait plus rien à dire. En fait c’était pour mieux laisser Frantz parler à son tour.
Frantz et l’ésotérisme.
Il parla de ce qu’ils faisaient avec le couple d’amis professeurs. Bien avant de rencontrer le groupe des anciens, ils avaient rejoint avec eux un groupe plutôt ésotérique pour s’engager plus intimement dans un combat social.
Une adhésion à un parti politique même écologiste ne leur paraissait pas être une manière satisfaisante de se mouiller dans un combat social car il n’y avait pas là de quoi changer profondément les hommes.
Pierre connaissait les grandes tendances de ce marché ésotérique en Allemagne et il lui demanda s’il s’agissait des Rosicruciens; ce que Frantz confirma. Mais celui-ci ne s’arrêta pas à la recherche béate de ces travailleurs de la gnose. Il affichait une démarche propre, ce qui était mal venu dans un tel cénacle. Il proposa de lire un court texte sur la recherche spirituelle et donc sur l’objet même de leur entreprise. Par respect pour son auteur qui l’avait écrit en français, il allait lire le texte en français et il le sortit de la veste de son smoking. L’assistance lui fit confiance. Il lut lentement en marquant les pauses du texte :
” Je ne suis d’aucune époque ni d’aucun lieu; en dehors du temps et de l’espace, mon être spirituel vit son éternelle existence, et, si je plonge dans ma pensée en remontant le cours des âges, si j’étends mon esprit vers un mode d’existence éloigné de celui que vous percevez, je deviens celui que je désire. Participant consciemment à l’être absolu, je règle mon action sur le milieu qui m’entoure. Mon nom est celui de ma fonction et je le choisis, ainsi que ma fonction, parce que je suis libre ; mon pays est celui où je fixe momentanément mes pas (…). Me voici : je suis noble et voyageur; je parle, et votre âme frémit en reconnaissant d’anciennes paroles; une voix, qui est en vous et qui s’était tue depuis bien longtemps, répond à l’appel de la mienne ; j’agis et la paix revient en vos cœurs, la santé dans vos corps, l’espoir et le courage dans vos âmes. Tous les hommes sont des frères; tous les pays me sont chers; je les parcours pour que, partout, l’Esprit puisse descendre et trouver un chemin vers vous. Je ne demande aux rois, dont je respecte la puissance, que l’hospitalité sur leurs terres et, lorsqu’elle m’est accordée, je passe, faisant autour de moi le plus de bien possible ; mais je ne fais que passer. Suis-je un noble voyageur? “
Frantz leur demanda le nom de l’auteur. Ils se regardèrent mais personne ne répondit.
– eh bien Frantz ! Comme dessert spirituel, c’est parfait !
Dominique n’avait pas trouvé mais tenait néanmoins à placer son mot. Laurie se tourna vers Pierre pour le taquiner en lui demandant de répondre. Pierre préféra s’adresser à Frantz:
– Frantz, es-tu devenu un noble voyageur ?
Anke lui répondit:
– nous avons été invités à le devenir mais nous ne sommes pas de ces nobles voyageurs là ! Nous cherchons autre chose, sur une autre voie, en fait maintenant dans les trois domaines d’activités que nous avons ensemble définis dans notre voie mais toi, poète, grand voyageur devant l’Éternel, semelles de vent, réponds-nous !
– Anke, je préférerais te répondre par un baiser pour sceller notre paix. Laissons parler le langage de nos corps tant que notre vie y séjourne encore, ce serait mieux que de se disputer sur des questions d’écoles ésotériques.
– d’accord poète mais ce baiser, je le veux comme tu dis, peau contre peau !
Anke redevenait la jeune femme qui gagnait les concours érotiques. Sa conviction était farouche.
Elle entraîna Pierre dans un coin derrière les tentures où personne ne pourrait les voir hormis les membres du groupe qui en silence se rapprochèrent d’eux. Elle ouvrit la chemise de Pierre pour mettre son torse à nu; elle fit tomber sa robe et son soutien-gorge pour enlacer le poète et partager un long et profond baiser. L’émotion gagnait le groupe. A la fin du baiser, le poète se pencha pour prendre dans chacune de ses mains un sein et l’embrasser.
Sepp sauta sur l’occasion pour réclamer un partage de ces derniers bisous. Anke en riant accepta et très vite, chacun, chacune déposa un baiser sur chacun des seins d’Anke.
Dans le Casino, personne n’avait rien remarqué et les jeux retenaient le public.
Sepp ayant retrouvé ses esprits, décida de remettre cela mais cette fois-ci sur les fesses de la belle Anke. Elle condescendit à baisser sa culotte et à tendre ses fesses. Le manège recommença au grand plaisir du groupe.
Pierre avait fini de se rhabiller et il aida Anke à remettre sa robe. Une fois réinstallés sur leurs chaises, Pierre répondit sérieusement:
– Anke, belle Anke, mille fois merci pour la magie que tu tires de ton corps, mille fois merci pour cette permission si souvent accordée depuis que nous nous connaissons de voyager sur ta peau, entre tes cuisses, au creux de tes reins, dans ta bouche… nous sommes toutes et tous devenus les nobles voyageurs de ton incomparable féminité… Anke, belle magicienne en quête de spirituel, je préfère que nous soyons ces voyageurs là plutôt que d’autres…( Pierre se tourna vers Frantz ), c’est bien que vous n’ayez pas adhéré à ce mouvement. Explique-moi cependant le lien entre ce texte et la rose-croix. Tu voudrais insinuer que ce mouvement se réclamerait aussi de l’auteur de ce texte ? Ce qui serait inexact ! Ce texte est de Joseph Balsamo ! … du moins de celui du XVIII siècle !
– ah ! le comte Alexandre de Cagliostro !
Cette fois Dominique était au rendez-vous ! Sepp aussi et cette communion de savoir dut se sceller de la même manière que précédemment.
Dominique ne put qu’accepter d’aller dans le coin sombre de la cour et consentir au baiser à la Anke puis aux bisous du groupe sur ses seins. Elle baissa culotte et tendit ses fesses. L’ambiance était remontée d’un cran. Tous admirent que sous cette nuit étoilée, Sepp était particulièrement dans son élément.
Pierre se dit qu’il n’était pas question d’ouvrir un débat sur Cagliostro qui avait fondé le rite de la haute maçonnerie égyptienne ni sur les rites de Misraïm et de Memphis-Misraïm auxquels lui, Pierre, s’était un moment intéressé. Pas question pareillement de discuter de la spiritualité allemande depuis par exemple Maître Eckart en passant dans le désordre, par l’ordre des Frères Initiés de l’Asie fondé vers 1782 par le baron Hans Heinrich von Ecker-und-Eckhoffen, en passant plus récemment par Reuss ou l’Antroposophie de Steiner dans laquelle Pierre n’avait retenu qu’une critique très humaine de Nietzsche.
En Alsace, dans ses recrutements, Pierre avait rencontré des candidats qui sortaient des écoles Steiner et il avait pu évaluer les points forts et faibles de cette éducation par rapport à l’enseignement laïque et par rapport aux besoins des entreprises. Mais ce débat deviendrait vite trop historique, technique. Il fallait éviter cet écueil en ne délaissant pourtant pas le débat soulevé par Frantz. Dans un premier temps, il y avait lieu de donner à chacun la possibilité de s’instruire sur ces sujets; ils devaient assembler et évaluer les données dans ces domaines avant une décision ultérieure.
Werner et l’alchimie spirituelle
Werner et Barbara ne s’exprimaient pas aussi ouvertement que les autres. Dominique, en bonne professeur, les interrogea. Souhaitaient-ils rester dans le groupe et à quelle place ?
Barbara lui répliqua la première. Qui avait le droit de décider à la place des autres et de déterminer qui devait rester ou qui devait quitter le groupe ? Werner monta le ton d’un cran. Il s’en prit à Frantz. Qu’avait-il encore derrière la tête ce jeune dandy pour tenter de les éblouir et d’assurer une ascendance psychologique sur eux ? Il confessa qu’il avait surtout retenu le souhait du groupe de démarrer une quête spirituelle en s’aménageant des lieux et des moments adéquats.
Werner prit la main d’Anke pour demander aux autres si leur chemin n’allait pas dans le sens de ce qu’avait dit cette jeune femme, à savoir prier à genoux sur une dalle de pierre dans le chœur d’une chapelle abandonnée au silence, avec simplement une tunique blanche sur le dos.
Allaient-ils chercher à gagner de l’argent pour assouvir la conquête d’un quelconque pouvoir ou bien allaient-ils bâtir des moments privilégiés de vie en dehors du rythme stressant de leur condition sociale de travailleurs et cela en recourant à la simplicité, à la pauvreté, au naturel et le moins possible à l’argent ?
Des maisons abandonnées dans des lieux retirés, Werner comme Frantz en connaissait des dizaines, principalement en montagne et il suffisait de quelques heures de marche pour y accéder. Pris ainsi, il n’y avait aucune raison de bâtir un club et de monter des sociétés commerciales ! A quoi pouvait les mener cette folle prétention de rassembler chaque soir plus de deux cent personnes dans leur club ? Le groupe discutait ardemment et Pierre n’était pas le dernier à vouloir placer son propos.
– tu as l’air pas mal remonté ce soir !
Françoise essayait d’adoucir son mari. Sepp que la voix de Françoise avait aussi interpellé se mit à parler.
– c’est la pleine lune cette nuit et les poètes sont si sensibles ! Ils devraient porter le chapeau !
La remarque de Sepp fit rire le groupe car en levant les yeux, ils constatèrent que la lune était bien pleine.
– allons passer le reste de la nuit sous la lune et les étoiles !
La nuit sous la lune et les étoiles.
Laurie dit à Sepp de s’inquiéter pour sa santé car avoir une telle inspiration et qui plus est, une qui avait enthousiasmé de suite le groupe, était au plus haut point suspecte. L’invitation de l’expert en étoiles ne souffrit aucun refus.
Barbara remit ses jetons à Anke, les autres firent de même en lui demandant d’aller récupérer l’argent à la caisse. Ils n’en voulaient plus de cet argent provenant d’Arnim.
Depuis qu’ils s’étaient retrouvés hier soir, les moments de joie, de travail sur leurs projets, de réflexion, d’inquiétude aussi, s’étaient succédés à un rythme intense. Les échanges supposaient une attention soutenue. Les sujets étaient souvent profonds mais ils faisaient partie de l’acquisition du but de leur entreprise. Il ne fallait pas se tromper, ils devaient s’en sortir mais ce n’était pas évident dans ce méli-mélo de jeux érotiques, de partage d’intimité, de gestion financière, de réalisation immobilière, d’apprentissage et d’enseignement de valeurs culturelles…
Ces préoccupations trop sérieuses ne leur donnaient pas envie de jouer à des jeux de hasard au Casino. L’on dit souvent que ces jeux de hasard intéressent surtout des gens oisifs qui ont besoin de pimenter leur existence… c’était aussi leur sentiment sur la question ce soir là…
La clairière pour une nuit d’été à la belle étoile.
Sepp demanda à Patrick s’il ne connaissait pas une clairière où ils seraient tranquilles pour passer la nuit à la belle étoile. Patrick en connaissait une.
Le groupe se mit en mouvement, ils passèrent au chalet se changer et prendre les sacs de couchage. Il était environ deux heures du matin lorsqu’ils arrivèrent sur les sommets environnant Baden-Baden. Ils laissèrent les voitures sur un parking le long de la schwarzwaldhochstrasse et se dirigèrent dans les bois avec leurs matériels de bivouac.
La nuit était claire mais le sous-bois de cette épaisse forêt de sapins rendait une sinistre obscurité.
Patrick et Dan, les soldats, ouvraient la marche avec leurs lampes frontales. Au détour du chemin, la clairière baignée de lune les attendait. L’herbe était confortable, c’était une prairie régulièrement entretenue pour le fourrage et les vaches n’y venaient pas paître.
Dan, Patrick et Frantz sortirent les hachettes de leurs sacs et partirent chercher du bois pour faire un grand feu. Pierre et Gérard avec des pelles-bêches creusèrent un large trou pour y installer le feu. Ce serait un peu leur feu de la Saint-Jean !
Lorsque les flammèches dansèrent dans la nuit, les femmes vinrent prendre possession du lieu et elles s’installèrent tout autour au premier rang.
Sepp ne voulut pas parler des étoiles. Sandra expliqua alors qu’il préférait voir les fesses d’Anke. Laurie rectifia : les fesses de Françoise ! Sepp approuva; il n’avait pas vu les fesses de Françoise de la journée et la nuit n’était qu’une rémission lui permettant d’espérer quelque peu encore, sinon la journée se terminerait mal.
Werner ne parlait pas. Barbara l’interpella pour savoir s’il était muet ou s’il avait perdu la mémoire. Devant l’étonnement de Werner, sa femme lui rappela comment il avait organisé la soirée la fois dernière chez Amadeus. Elle n’avait pas oublié ! Tous approuvèrent et insistèrent pour que Werner renouvelle sa proposition. Il jouait le jeu en restant boudeur.
Anke fit alors lever ses consœurs et en battant le rythme de leurs mains, elles dansèrent autour du feu en jetant leurs habits sur les hommes. Lorsqu’elles furent nues, elles s’écroulèrent en riant sur Werner qui dut capituler et reformuler solennellement la proposition rituelle.
Aussitôt elles se placèrent selon l’ordre prescrit. Les hommes invitèrent Werner à prendre place le premier avec une femme, le hasard fit que devant lui il y avait Anke en position de levrette.
Quand elle fut prise et avant que son partenaire ne commence son va et vient, elle eut le temps de déclarer que cette nuit il n’y aurait pas de temps imparti pour chacun des tours et que la fête devait se prolonger jusqu’au petit matin.
Sepp lui précisa que le lever du soleil était proche, dans deux heures maximum, ce à quoi les femmes exigèrent de compter le temps selon l’horaire normal d’un lever du lit le dimanche matin, ce qui portait l’heure de 8 heures du matin à 10 heures selon les couples!
Les sorcières à l’œuvre.
En fait, les femmes avides de sensations chaque fois renouvelées, demandèrent des changements rapides de partenaires pour multiplier les contacts avec chacun. En même temps, elles rusaient pour ne pas laisser leurs hommes se fatiguer trop vite, se vider de leurs forces. Laurie leur apprit la technique de compression pour provoquer l’arrêt de l’éjaculation et toutes en devinrent aussitôt expertes.
Dans l’anonymat factice de la nuit que perçaient à peine les flammes, elles donnaient libre cours à leurs pulsions primaires. Ombres et cris dans la nuit, chaque couple pour l’autre n’était plus que formes mouvantes façonnées par le feu, cris sans limites aucunes. La brise nocturne qui court le long des sommets les emportait loin vers des horizons qui bientôt allaient naître, magnifiant ainsi ces cris suaves en appels salvateurs.
Un moment, lorsque le feu s’éteignit, Laurie prit Anke par la main pour l’amener à s’accroupir sur les braises et elles tentèrent d’éteindre le feu en urinant dessus. Sorcières, elles conjuraient la nuit la plus noire pour parfaire leur sabbat !
Dan remit des brindilles et le feu repartit. Les autres femmes vinrent à la rescousse de leurs cheftaines mais les hommes parvinrent à préserver le feu. Ils jetèrent dedans le reste du bois et après quelques minutes les flammes illuminèrent la clairière.
Les femmes en se tenant par les épaules firent face aux hommes. Elles les provoquaient avec des mots, des postures obscènes; elles s’embrassaient, faisaient pénétrer leurs doigts dans l’intimité de leurs voisines: le sexe, l’anus, la bouche, en défiant la virilité des mâles. Comme le feu baissait d’intensité et que l’obscurité reprenait son territoire, ils s’élancèrent sur elles pour les capturer et les mettre à genoux à côté du feu. Des bâtons furent trouvés et elles reçurent une volée de coups toute symbolique.
Les femmes jouaient le jeu et marquaient leur docilité par des gestes, des plaintes de soumission. Pendant que deux hommes les gardaient attachées par une cordelette d’alpiniste que Frantz avait toujours au fond de son sac à dos, les cinq autres emmenèrent une femme au bout de la clairière.
Une fois les mains liées à un arbre, elle recevait une bastonnade appuyée mais pas violente puis, livrée à l’humeur de ses gardiens, elle avait droit à d’autres punitions. Toutes furent prises par trois hommes à la fois qui passèrent par chacun de ses orifices. Toutes reçurent sur leur visage les jets d’urine d’un homme. Toutes avant de rejoindre le feu durent boire en récompense le sperme d’un autre homme. Toutes durent regagner le feu en tenant d’une main dans leur anus un bout de bois taillé par Patrick. Il leur était interdit de le laisser tomber et lorsqu’elles furent réunies autour de feu, elles durent tourner autour en marchant en canard sans laisser sortir le bâton. Elles reçurent encore quelques punitions collectives, d’autres humiliations.
Werner rassembla leurs culottes et les hommes se mirent en rang pour les tirer au sort. La culotte fut ensuite jetée dans le feu et chaque homme prit sa captive pour l’entraîner dans un coin de la prairie. Pierre se demanda comment Werner connaissait le rite gcod décrit par Alexandra David Néel lorsque les femmes du Tibet mettent leur foulard dans un chapeau avant que les hommes ne tirent un foulard au hasard et prennent sa propriétaire comme compagne pour le reste de la nuit.
Les femmes communiquaient entre elles en criant ce qu’on leur faisait, en poussant des gémissements et en hurlant leurs orgasmes. Ces mots, ces cris, ces ombres dans la nuit sous la lune formaient un monde envoûtant plein de forces occultes. Les hommes excités au plus haut point donnaient libre court à leurs forces viriles sans se soucier de la femme qu’ils prenaient et les femmes jouissaient emportées par cette force bestiale, confiante dans le fait qu’à travers cette orgie, des énergies allaient se transformer pour rendre chaque participant comme neuf, régénéré par des forces primaires et naturelles. Peu à peu des couples se turent et le silence revint sur la prairie, parmi la clairière.
Le ciel bleu fin de nuit appela l’aurore.
Pierre vit un homme près du feu. Les couples gisaient endormis sur la prairie à quarante mètres les uns des autres. Il laissa sa compagne poursuivre son sommeil et il rejoignit le feu.
Sepp veillait des flammèches qu’entretenaient quelques braises. L’homme de l’espace, des étoiles et des vaisseaux cosmiques accueillit le poète.
Pierre se souvint qu’il était venu dans la voiture de Sepp et qu’il y avait vu un magnétophone portable. Pierre lui demanda d’aller rapidement le chercher avant le lever du jour. Sepp obéit en confiance et ne tarda pas à présenter à Pierre son magnétophone portable. Pierre sortit le micro de la sacoche et le brancha pour faire un essai d’enregistrement. Tout fonctionnait.
Ils allèrent ensuite réveiller doucement le reste du groupe. Ils revinrent se regrouper autour du feu. L’attitude de Sepp et de Pierre leur avait fait comprendre que quelque chose d’important se préparait. En silence, ils prirent la dimension de cette folle nuit où ils avaient fait un pas de plus dans l’histoire qui les unissait davantage et plus sauvagement, primitivement encore !
Sepp les rangea face à l’est. La plupart s’étaient recouverts de quelques vêtements et le groupe avait une allure fantomatique. Pierre prit le magnétophone et demanda à Sepp de venir à côté de lui, quelques pas devant le groupe. Pierre s’assit sur ses talons et redressa le torse pour se tenir bien droit et mieux soutenir son regard face à l’horizon. Les autres firent de même.
La salutation au soleil
Chacun ressentit les brefs moments où la première lueur cherche à sourdre de l’obscurité, où le premier rayon jaillit droit de l’horizon. La courbure du soleil se dégagea de celle de la terre.
Là-bas, dans le paysage des collines wurtembourgeoises, elle grandit pour s’échapper de l’horizon terrestre. Enfin la lumière diffuse arriva jusqu’à eux.
Tous saisirent l’instant infime où la nuit recule vers l’ouest et où le jour s’avance pour reprendre sa place. Le silence était parfait. Pierre savait que cet instant de silence n’allait pas tarder à se rompre. Entre ce premier rayon de soleil aperçut à l’horizon et le début du chant des oiseaux, il n’y a que quelques petites minutes, un instant éphémère où chaque être vivant, chaque minéral se recueille avant de réagir sous la présence de la lumière de l’aube et de reprendre le cours de son existence.
Pierre sut que c’était le moment. Il tendit ses bras vers le soleil qui ne cessait de grandir.
– bonjour à toi soleil ! Tu t’es levé à l’est, je sais que tu t’es déjà levé là où maintenant tu te couches ! Tu vivifies notre vie charnelle mais ce n’est pas toi qui la conduit. Honneur à toi Sirius, qui nous donne l’exacte mesure du temps terrestre ! Apprends-nous, ô Sirius, le destin que nous prépare ton étoile sœur à la densité si terrifiante pour nous ôter un jour cet instant de lumière renaissante à la vie et par lequel les hommes retrouvent le chemin de leur humanité… Soleil qui court dans notre ciel !…nous les fils du ciel et de la terre calculons et suivons la précession des équinoxes que tu nous donnes et qui nous conduisent imperceptiblement, aux balancements de l’axe de notre terre et à l’effroi qu’ils causent parmi les espèces vivantes. Nous qui te regardons, sommes les fils spirituels des survivants du dernier grand cataclysme et jamais, tout comme nos aînés l’ont su, nous n’oublierons les devoirs de notre civilisation en ces moments là où tu changes la course de tes apparitions !
Suis ton cours, Soleil ! Je fais maintenant appel à la lumière qui jamais ne disparaît en nous ! ( Pierre enclencha le magnétophone.
Père… Père, des lois de pierre aux mots de prière, je chante l’Éternel, l’Éternel féminin de qui tout provient… ton Verbe qui est dans la lumière m’a dit de revenir à cette vie alors que tu m’avais laissé venir me reposer quelques instants chez moi, là où je n’ai jamais cessé d’être avec toi parce que tu es en moi depuis le jour où tu as voulu me façonner à ton image.
Père, avant que les oiseaux ne chantent ton nom, laisse s’exprimer en confiance celui que ton enfant appelle. ( après un bref silence )
La prière de l’initié pour le père de Laurie
Je te salue et t’appelle, tu es parti chez nous et ta fille en te serrant la main t’a accompagné un bout du chemin vers la lumière. C’est parce qu’elle sait où tu es allé mais qu’elle n’a pas vu la lumière et qu’elle n’a pas rencontré le Verbe, qu’elle est si forte dans l’espoir qu’elle a de te revoir et si fragile à cause du doute qui ne peut se dissiper sans te rencontrer une dernière fois. Tu connais le chemin que nous avons pris; elle a besoin de toi pour retrouver les forces entières qui l’aideront à aller au bout du parcours et à abandonner cette angoisse de la perdition avec laquelle elle ne peut avancer sans péril.
Tu ne trahiras pas le silence, la paix, le secret qui conviennent à ceux qui croient et je ne vais pas prier d’autres compagnons disparus pour intercéder en notre faveur auprès de toi.
J’ouvre mon non être à ta présence pour que tu sondes mieux encore le combat qui nous anime et les causes qu’a épousées ta fille à nos côtés. Nous avons besoin de sa force spirituelle, de sa foi en toi, en notre devenir pour qu’elle participe à la direction de ce voyage vers le Verbe et vers la présence qui est en nous, en toi le vivant d’éternité et en nous les humains qui vivent dans l’exercice de la foi en notre retour chez nous et dans la recherche d’un approfondissement des mystères de la création divine.
Je veux et te prie de lui donner cette force, de lui ôter ce doute, de renouer le lien qui s’est brisé entre vous parce qu’elle n’était pas prête à te suivre mais parce qu’elle t’a aimé et qu’elle t’aime beaucoup plus qu’il n’est possible sans avoir reçu le don d’amour du Verbe qui ordonne toute vie.
Nous avons partagé son amour exceptionnel pour une non-initiée et tu as vu comme nous qu’il traverse les embûches de la vie comme un diamant qui taille la pierre. Son amour d’aujourd’hui que nous partageons, la rend capable d’un amour plus vaste et plus profond.
C’est à toi de lui ouvrir les portes de ce domaine bienheureux. J’ai le pouvoir de t’appeler et je sais que tu viens alors près de moi, en moi comme moi je suis en toi, réunis par la présence qui nous a fait à son image.
Toi comme nous tous ici rassemblés dans notre prière, nous sommes un… nous sommes la Lumière et la Vie ! Parle, ta fille t’écoute !
Dès les premiers mots de Pierre, Laurie avait compris. Le soleil avait disparu devant elle, elle revivait la mort de son père et elle était intimement convaincue que son père allait revenir lui parler, lui dire enfin ces mots de paix, de réconfort, d’espoir qu’elle souhaitait tant entendre de lui pour savoir indubitablement qu’il était bien reparti chez lui, qu’il n’était pas perdu.
Si le destin lui avait fait vivre ces moments là, ce destin devait lui offrir une seconde chance. Il ne pouvait pas se manifester ainsi puis se tenir muet sa vie durant. C’était trop injuste, trop contraire à l’espoir qui était né au début de ce voyage plein de promesses de vie et d’éternité. Elle savait qu’elle avait droit à une autre réponse et depuis, sans un jour d’oubli, elle avait cherché comment recréer ce contact. Elle avait prodigué cette force dans cette recherche à ses malades les plus désespérés par la cruauté des hommes mais ils étaient souvent trop meurtris dans leurs chairs pour dépasser le stade de l’écoute bienveillante. Ils n’avaient pas encore la force de marcher sur ce chemin là.
Elle écouta Pierre. Elle savait qu’il avait le pouvoir et le droit d’appeler ceux qui étaient repartis de cette terre parce qu’elle croyait qu’il avait pu aller chez lui, qu’il avait dialogué avec eux lorsque ces derniers l’accompagnèrent vers sa demeure et qu’il en connaissait le chemin du retour.
Elle remercia aujourd’hui le destin qui les avait fait se rencontrer d’une manière si exceptionnelle, leurs bras à tous deux ouverts de suite aux caresses, à l’étreinte qui vous permet de mesurer instantanément l’amour dont est capable celui qui vous prend.
Aux premiers baisers échangés, à leur première communion charnelle lorsqu’elle l’avait enserré de ses cuisses repliées sur lui pour bien le tenir en elle, ils avaient compris la démesure qui régentait les aspirations de leurs existences humaines et ils s’étaient aussitôt retrouvés pour toujours dans ces espaces hors des limites du quotidien. Elle avait fait ensuite le vœu de l’aimer, de l’aider, de le suivre.
A travers les malheurs qu’elle soignait, elle savait quel sort peut attendre ces personnes qui comme Pierre vivent constamment entre ciel et terre. Elle n’avait pas voulu que comme tant d’autres qui se lassent d’attendre le signal du retour, il prenne le parti de sa liberté et choisisse doucement, en silence, de s’en aller au pied de son arbre, sur son rocher, au bord d’un ruisseau loin des autres et de ce monde-ci.
Elle fut surprise que Pierre décide de cette manière et aussi vite, de tenter ce lien avec son père.
Elle pensait que ce moment viendrait dans le partage de leur intimité et non devant les autres. Elle était certaine que son père ne l’avait jamais quittée; alors elle attendit.
Au bout de plusieurs minutes, Pierre se leva. Il avait posé l’appareil. Il écarta ses mains vers le haut puis les ramena droit devant lui comme s’il imposait ses mains sur le soleil au-dessus de l’horizon. Immédiatement les premiers chants des oiseaux résonnèrent dans les bois. Il baissa alors ses bras et se rassit.
Il remonta la cassette. Les autres se regroupèrent en silence autour de lui. Lorsqu’ils furent tous immobiles, il enclencha le magnétophone. La voix de Pierre avait pris une profondeur surprenante. Quelques instants après qu’elle se soit tue, une voix parla en américain. La voix était douce, réconfortante, sereine. Les ondulations de la voix portaient sur un registre infini. Chacun pouvait le noter : cette voix était bien humaine.
Laurie se serra contre Dan. Elle voulait écouter jusqu’au bout son père et elle aurait déjà voulu ne plus l’écouter pour donner libre cours à son ressentiment.
Les autres comprenaient certains mots mais cela n’avait pour eux aucune importance de ne pas déchiffrer correctement le message.
A travers cette voix, face à cette présence qui communiquait en fait avec chacun d’eux à travers Laurie, ils comprenaient davantage le chemin sur lequel ils s’aventuraient. C’était pour eux le premier choc et ils l’avaient encaissé naturellement car l’amour de Laurie et de son père, l’amour de Pierre pour Laurie que tous comprenaient maintenant à sa juste dimension, l’amour qui jusqu’ici avait vécu entre eux tous, toutes ces amours atténuaient la portée de cette révélation pour la replacer dans un contexte d’évidence, comme une suite logique aux partages qui vivaient entre eux et qui n’étaient pas prêts de s’arrêter. Lorsque la voix se tut, ils mirent quelques instants avant de pouvoir échanger leurs regards.
Sur les joues de Laurie, de grosses larmes de profond bonheur s’étaient arrêtées à hauteur de son bout de nez. Dan les lui étala pour les faire sécher.
Il avait connu celui qui venait de parler et en était profondément bouleversé.
Anke qui se tenait près de Laurie lui caressa le visage et lui donna un baiser affectueux sur la joue. Dan en fit de même. Anke se retourna pour donner une accolade de paix à son voisin et cette accolade circula parmi eux. Laurie voulut dire quelques mots à Pierre mais il lui mit son doigt sur les lèvres pour lui imposer le silence.
Anke s’adressa alors au groupe:
Pierre nous apprendra à prier, à oser demander comme un poète sait naturellement le faire car il n’a pas peur des mots !
Bientôt nous n’aurons plus besoin de magnétophone et nous écouterons ces voix dans nos cœurs !
…N’ayons jamais peur de nous aimer davantage comme nous l’avons fait cette nuit car au matin, notre esprit sera capable d’écouter des voix que nos oreilles sont incapables d’entendre !
N’ayons pas honte du langage de nos corps car il pousse notre esprit hors des limites de sa résidence quotidienne.
Aimons nous car alors le choc de ces révélations ne sera que caresse magnifique et inoubliable !
En nous aimant fort, à chaque rencontre encore plus fort, nous découvrons l’amour divin et notre peur de la mort s’évanouit. Oui, bientôt nous serons nous aussi des chevaliers sans peur et sans reproche. Gare alors aux tenants du pouvoir temporel qui ne vivent que pour valoriser leurs propriétés matérielles et qui ont besoin de l’entière disponibilité de leurs salariés pour préserver leurs intérêts.
Je rejette le tabou lancé par la société sur tout ce qui exacerbe nos amours. Je refuse de limiter l’amour à une raison sociale qui y cherche le moyen d’assurer l’hérédité des propriétés conquises sur les autres. Sans notre rencontre, rendez-vous compte que ce que nous aurions continué à perdre !
Je veux être libre, libérée du rythme aliénant de cette société.( elle s’était levée d’un bond tonique et face au soleil, elle sautait haut en repliant ses jambes sous ses cuisses ) . Je veux vivre, vivre toute ma vie !
Pierre s’était levé et la prit par la main
– Fille du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible ! …Dieu parle, il faut qu’on lui réponde, ce mot d’un autre poète, vous l’avez maintenant compris comme chacun des poètes au travail… Que dans notre réponse, nous trouvions les larmes de bonheur qui ont coulé des yeux de Laurie ! Apprenons aux hommes la pudeur de pleurer au moins quelques fois ainsi dans leur vie… et pour nous, allons baigner nos larmes de bonheur dans la rosée du matin… elle est là offerte, profitons-en avant que le soleil ne la sèche !
Pierre avait soulevé Anke dans ses bras et il courut quelques pas pour la coucher dans l’herbe et l’embrasser en se tenant entre ses cuisses. Elle le fit glisser sous elle et ils roulèrent plusieurs tours en descendant la prairie. La fraîcheur stimulante de la rosée électrisait le corps comme pour le recharger d’une énergie nouvelle, supplémentaire par rapport à celles qu’ils avaient déjà emmagasinées cette nuit.
Les autres se lancèrent pareillement dans ce bain matinal. A peine s’étaient-ils immobilisés sur l’herbe que Laurie, d’un bond se releva. Elle alla récupérer le magnétophone et remit en marche la cassette pour vérifier que la voix de son père ne s’était pas effacée.
Elle prit la cassette et la tendit devant le groupe. Humblement elle déclara son bonheur.
je suis heureuse, parfaitement heureuse, grâce à vous tous !…Avant de nous rhabiller et d’aller porter notre joie à nos enfants, une chose encore !…( elle alla vers Pierre pour poser ses mains sur son épaule et regarder le groupe )…Je vous demande solennellement de bien vouloir nous laisser Pierre et moi poursuivre notre recherche commune en éclaireur pour le groupe.
Je crois que si Pierre et moi n’avions déjà pas partagé certaines choses, des choses que je n’ai pas encore partagées avec vous ni même avec Dan et que jamais peut-être je ne pourrai partager avec vous, jamais il n’aurait pu contacter mon père.
Je demande aussi solennellement à Pierre et je vous prends à témoin, de m’emmener avec lui dans ce voyage à la rencontre de celui qui vit en nous et à la rencontre des mystères de sa révélation aux hommes. Nous serons demain encore plus vivants.
Je pousserai Pierre à ne pas s’arrêter en cours de route, à vaincre sa peur, ses hésitations. Je serai sa muse, sa servante et un jour peut-être sa princesse ( elle lui souriait ). Je ne divorcerai pas de Dan qui sera le père de mes enfants et je ne prendrai pas le mari de Françoise, cela n’a plus aucun sens entre nous ! Nous vous demandons simplement d’accepter par moments notre moindre implication dans les activités du club pour que nous puissions disposer de cette disponibilité pour poursuivre notre route, celle qui en partie sera la vôtre… nous vous en ferons vivre les meilleurs moments !
Elle se tourna vers Pierre tout en lui prenant les mains.
Merci pour avoir pensé ce matin à faire tout cela pour moi et pour nous !…je te sais capable d’aller ensemble chez nous. Avec moi, tu verras, nous réussirons !…
Tu ne seras plus un poète en sommeil, cherchant à camoufler sa lâcheté dans l’insignifiance et l’abandon. Tu n’auras pas à évaluer tes craintes aux regards des autres mais c’est à la mesure de mon cœur, à la mesure de la profondeur de mon regard que tu te guideras sur terre et je serai là immobile contre toi pour que cette mesure ne change pas et que tu saches toujours où tu es… tout contre moi !…
La femme que je suis va t’aider avec ses moyens de femme, des moyens que tous et toutes vous connaissez pour les avoir expérimentés. Avec la chaleur de mon corps, la douceur de ma peau, mes baisers, la salive brûlante de ma bouche sur ta bouche, sur ta peau, ton sexe, ma cyprine sur tes lèvres, au fond de ta gorge, je délierai ta langue et je transformerai les cris de plaisir que je t’arracherai en cris d’espoir pour qu’avec cet espoir, tu ailles à nouveau à la rencontre de ce Verbe qui déliera enfin ta langue avec des charbons ardents !…
Je le ferai… je le ferai de toutes les forces de mon corps, de mon esprit, de mon âme !
Soyez tous témoins… oui, je cède la direction de mon âme à celui qui est capable de nous conduire chez nous mais il n’est pas question d’argent, je lui donne tout mon amour de femme pour obtenir en échange notre salut et le don d’amour que mon père vient déjà de me donner en partie… c’est tout ce que je peux faire ce matin dans l’aube de notre nouvel avenir mais je le ferai !
Elle tendit son bras droit devant. Pierre posa ses doigts sur la main tendue. Françoise puis Dan et tous les autres posèrent leurs mains sur le bras de Laurie. D’une même voix, tous ensemble, ils reprirent trois fois: nous le ferons ! Étaient-ils déjà des preux chevaliers bâtissant leur ordre ?
Le retour au chalet
Ils se rhabillèrent et regagnèrent le chalet où les enfants les attendaient.
Avant d’entrer, ils entendirent le dernier commentaire de Dominique, toujours prof de lettres, qui voulait rechercher dans l’ouvrage de Malinowski sur les indigènes des îles Trobriand, l’interprétation du rite orgiaque et primitif qu’ils avaient vécu ainsi que la signification du rôle du sorcier et de sa servante qu’ils s’étaient donnés dans le groupe, de manière à construire de suite le mythe qui raconterait leurs aventures aux autres…
Sepp lui murmura à l’oreille d’aller se faire foutre ! Sandra qui avait entendu, dit à voix haute que c’était déjà fait et par Sepp lui-même ! …
Étonnés, ils durent se souvenir que cette nuit Dominique avait été tirée au sort par Sepp. Sandra l’avait parfaitement noté ! Ce sur quoi, ils se mirent tous à rire de leur façon aussi simpliste de régler entre eux les problèmes !
Le poète à la Croix des Gardes dans la nuit azuréenne, revient de ses souvenirs.
Pierre s’étonna de surprendre ce rire sur ses lèvres et il revint à lui dans cette nuit azuréenne.
Il passa en revue les lumières du paysage qu’il avait devant lui : Juan les Pins, le Palm Beach et la Croisette, le fort Sainte-Marguerite, les deux tours du Suquet, le pont arrière du porte-avions, la calanque de Théoule.
Assis à côté de la croix, il était le pilote d’une machinerie, d’un mécanisme matérialisé par cet arc de cercle de lumières dont les extrémités s’avançaient vers la mer et le ciel… la mer et le ciel, le jour et la nuit, courber le temps bien plus loin et plus haut que l’horizon pour relativiser les moments de cette vie, de cette nuit pleine des lumières des hommes et les inscrire dans la continuité de ce qui nous pousse à vivre au-delà de nos limites dans la souvenance de nos métamorphoses !
Ce paysage n’était qu’un terrain pour poser quelques années de son existence terrestre. Ces lumières témoignaient uniquement d’endroits de rencontre, de passage pour de plus ou moins nobles voyageurs… elles n’avaient finalement rien de captivantes.
Pierre commença à avoir mal aux fesses sur ce rocher pourtant bien lisse. Il préféra aller s’installer de l’autre côté, parmi la jeune pinède qui domine La Bocca et Mandelieu. A l’abri des regards, il éviterait également les patrouilles de police qui régulièrement la nuit passent à la Croix des Gardes. Il revint à Baden-Baden. Il revit ce premier bain au Friedrichsbad.
[1] Anke se réfère au livre de Roy Gutman, correspondant de Newsday en Europe, et qui a reçu le prix Pulitzer pour avoir révélé l’existence des camps serbes. Ces descriptions sont tirées de son livre.