Épisode 02 la rencontre avec Laurie

ou l’extase amoureuse

Le club

Ce qui cette nuit plaisait à Pierre, c’est le fait que Laurie ait d’abord été l’auteur des quelques lignes qu’il avait remarquées dans le livre des invités chez Amadeus et Regina. Une jeune femme qui avec candeur et enthousiasme avait écrit quelque chose comme ce dont il se souvenait encore:

Le registre contenait, à côté de ceux écrits en allemand, peu de commentaires en langue anglaise. Il y en avait davantage qui provenaient de français, de suisses, de hollandais, de quelques suédois. Les Anglais qui venaient ici étaient en fait pour la plupart des militaires américains stationnés soit dans le Palatinat du côté de Ramstein, Landsthul ou Pirmasens soit du côté de Heidelberg ou encore de Francfort. Un témoignage était rédigé en canadien; c’était un couple de pilote basé à Solingen qui en partance pour le Québec était venu passer ici de derniers moments en Europe avec des européens. La femme l’écrivait : ce dernier souvenir serait pour toujours aussi le premier dans son cœur lorsqu’elle repenserait à l’Europe ! 

Pierre et Françoise aimaient lire ces lignes. Elles contenaient des sentiments très souvent d’une sincérité éclatante et qui ne pouvaient autrement se dire au cours des discussions ou des échanges de message, à table ou au lit. Dans ces lignes se retrouvait toute la chaleur engrangée la nuit durant au contact des uns et des autres. Une chaleur qui n’était pas enveloppée d’un côté intellectuel mais qui était simple, directe, vraie. Aussi simple et directe et bienfaisante que lorsqu’elle s’était manifestée et avait crû puissamment en chacun et chacune lorsqu’ils se l’étaient échangée ainsi peau contre peau. Pierre de suite, la première fois, l’avait pressenti : le langage qu’il lisait en ouvrant ce livre était bien plus que le seul langage des mots. Certes il savait bien qu’il n’y a pas de pensée hors des mots mais les mots qui figuraient ici avant d’être inscrits dans une phrase, avaient vécu dans des regards, des caresses, des étreintes, des soupirs, des envies, des baisers. Ils sortaient de salives échangées, de sperme et de cyprine mêlés, de sueur transmise oh pas avec des tas de gens ! …le plus souvent ces derniers temps à cause du sida, qu’avec le seul partenaire conjugal et légitime ! …mais ces mots venaient avant tout du langage des corps. De ce langage des corps dont bien des poètes comme Pierre avaient dit qu’il était le seul à pouvoir véhiculer la vérité des êtres. C’était d’ailleurs après avoir perçu cela que la première fois qu’ils étaient venus ici, Pierre n’avait pas écouté Françoise qui voulait repartir tant il lui était encore difficile à elle de s’imaginer faire l’amour au milieu d’autres couples. 

 La première soirée au club 

Cette toute première fois, ce fût un vendredi soir. Amadeus leur avait dit de venir la première fois un vendredi soir. Il y aurait moins de monde et davantage de temps et de place pour s’insérer au cours de la soirée dans le mouvement général de la maison.

Dès l’entrée et l’accueil sur le pas de la porte par Amadeus et Regina, vous sentiez qu’ici vous n’étiez pas dans un club, même un “pärchen club” mais bien dans une vaste demeure que les maîtres du lieu avaient aménagée pour eux et ceux qui voudraient bien les rejoindre et partager une certaine manière de se conduire avec les autres. Des deux, Amadeus présentait le plus de signes capables d’exprimer leur philosophie. Pierre, pour bien connaître les relations humaines, ressentait l’importance du non-verbal. Tout de suite ce qui le frappa chez Amadeus, ce fût la courte queue de cheval au niveau de sa coiffure ainsi que son aspect trapu et bedonnant. L’expression était vive, chaleureuse. Les mots employés soulignaient une politesse extrême, le sens du détail pour vous enlever tout tracas. Tout le mouvement de la personne tendait à vous pousser dans un climat de confiance. L’invitation faite de visiter la maison et de la parcourir librement ne fit que confirmer l’impression de liberté et de tolérance qui imprégnait cet homme. Pierre ramena cependant cette impression à de plus justes proportions. La manière d’arranger ses cheveux avait une connotation typiquement hindoue. L’embonpoint prêtait un peu plus à confusion mais il fallait assez vite écarter l’idée qu’il représenterait ce signe de richesse si partagé en Allemagne. Il y avait une teinture épicurienne certes et Pierre comprit qu’il s’agissait du véritable épicurisme. L’homme ne s’arrêtait pas à une philosophie de l’incertitude universelle. Si sa nonchalance pouvait prêter à une sorte d’indifférence sur un jugement entre le bien et le mal et en cela laissait libre son invité de penser ce qu’il voulait sur ce qui se passait ici, cet aspect un peu “taoïsme” symbolisé par la queue de cheval devait s’effacer devant la rationalité extrême autour de laquelle la maison était organisée. Il y avait du matérialisme atomique dans la manière dont chaque objet était rangé, un côté suffisant pour rappeler l’intimité d’un foyer, un autre tout aussi équilibré pour vous montrer qu’ici, c’était le foyer d’autres couples et qu’il fallait donc se plier à une règle commune pour se restaurer, se servir au self, se déshabiller, prendre ses serviettes, circuler d’une pièce à l’autre en faisant ce que l’on veut, sans jamais gêner les autres.

En y réfléchissant, Pierre comprit que cette voie du véritable épicurisme était probablement la clé du succès de cette maison même si à l’évidence, Amadeus et Regina pouvaient à loisir parler de Wilhelm Reich et de ses théories. Pierre en souriant, se plût à penser que comme lui, Amadeus récuserait l’aspect par trop clinique des expériences reichiennes, aspect qui en avait été une des principales causes d’échec.

Amadeus se pliait en courbettes devant chaque porte pour laisser entrer Françoise. Cela amusa Pierre. Françoise devant tant d’amabilité répondait par des marques de grande satisfaction. On aurait cru qu’elle prenait possession d’une maison de luxe et parcourait les pièces avec le regard expérimenté de la maîtresse de maison qui a déjà déménagé plus d’une fois. Après le restaurant, les petits salons, la grande pièce d’eau carrelée et ses quatre colonnes à la romaine qui entouraient une piscine circulaire pouvant contenir une douzaine d’adultes, la salle de jeux avec dans un coin le “wash-machine” traditionnel et dans l’autre coin la vue sur la piscine extérieure, le jardin puis derrière encore, la forêt, Amadeus se planta au pied de l’escalier. Il regarda droit dans les yeux Françoise pour dire qu’il n’y avait pas de visite des pièces du haut, ceci pour ne pas déranger les couples qui s’y trouvaient. Elle pourrait y monter après s’être déshabillée dans le vestiaire d’à côté. Amadeus lui précisa qu’elle devait cependant remettre une petite culotte pour aller dans la salle du restaurant, ce qui la fit rougir aussitôt. Pierre éclata de rire et Amadeus daigna lui aussi sourire. Françoise, vexée, condescendit également à en rire. Amadeus fit signe à Pierre de venir au comptoir payer. Pierre invita Françoise à se rendre au vestiaire, ce qu’elle refusa, ne voulant pas se mettre nue, seule, au milieu d’une pièce où pouvait survenir n’importe qui. Elle accompagna Pierre puis tous deux revinrent au vestiaire. Pierre commença par lire le registre des invités et Françoise trouvant le prétexte bon pour retarder l’échéance en fit de même. Après une dernière discussion orageuse où Pierre dût faire preuve de fermeté, l’impatience prit finalement le dessus et ils se déshabillèrent.  

Arrivés à l’étage, ils saisirent des serviettes. Pierre décida de prendre d’abord une douche. Françoise accepta, se remémorant qu’au début de leur rencontre, dans sa chambre d’étudiant, Pierre tenait toujours à lui faire une toilette intime. Surprise la première fois, elle avait fini par y trouver du bon surtout sous les coups de langue de son amant, s’offrant d’autant plus ouverte qu’elle se savait propre. Après une courte réflexion la fois là, elle avait accepté de lui rendre la pareille, faisant confiance au fait que c’était elle qui lui avait lavé le sexe… Débuter cette expérience nouvelle par ce vieux rituel lui plut et sous la douche, elle tendit ses fesses comme autrefois !

Se décider à pénétrer dans une chambre n’était pas facile ! Près du salon vidéo, la chambre bleue avait une porte vitrée au verre translucide. Les corps que l’on apercevait s’entouraient d’une aura blanche fluorescent. Le procédé était surprenant et captivant. Votre partenaire s’illuminait en quelque sorte et plus que son corps, c’était surtout ses mouvements, sa silhouette qui était mis en valeur. Au plafond et sur les murs, des petites étoiles brillaient, animées par les reflets de la lumière bleue fluo. Allongé, vous vous trouviez comme sous la voûte des cieux. Cette pièce s’appelait d’ailleurs “das sternchen-zimmer”. Pierre voulut y entrer mais Françoise s’y opposa. Tous les gens qui passaient dans le couloir jetaient un regard prolongé dans la chambre et elle ne supportait pas cela. S’exhiber ! …oui ! disait-elle mais seulement si les autres en font pareil ! Elle préférait la réciprocité dans les affaires et formée à la comptabilité double, elle comptait ce qu’elle donnait et ce qu’elle recevait. Participer à ce genre de soirée consistait pour elle à donner beaucoup ; elle prendrait donc ses précautions pour recevoir également beaucoup. Une deuxième chambre avait une porte pleine. A l’intérieur la lumière était orangée. Cette teinte chaude était une invitation. Au fond de la pièce, le mur était couvert de miroirs. Il ne restait plus beaucoup de place. Au milieu, une jeune femme que l’on voyait de dos chevauchait un homme. Ses cheveux blonds ondulaient sur ses épaules au rythme des mouvements de son bassin. D’autres couples étaient installés tout autour si bien que l’on ne voyait pas ses fesses. Pierre voulut entrer. Françoise referma la porte et préféra voir ailleurs. Il en déduisit qu’elle recherchait un endroit où sans faire de prouesses, elle pouvait tout de même se mettre en valeur et ne pas être supplantée par une autre que tous regarderaient. C’était dans son tempérament de vouloir être toujours la première. Pierre se dirigea vers le fond du couloir et s’apprêta à ouvrir une autre porte. Françoise voulut l’ouvrir elle-même pour ne pas se sentir obligée de toujours suivre Pierre et pour tenter aussi de prendre comme elle pouvait un semblant d’initiative dans l’affaire. 

 Laurie

C’est alors que Laurie apparut. Svelte, la jeune femme tenait derrière elle dans une main sa serviette, de son bras droit elle avait ouvert la porte et son geste avait été déséquilibré par le mouvement de Françoise qui avait aussi tiré sur la porte. Sa tête tournée de côté vers l’arrière poursuivait la discussion avec l’homme qui la suivait lorsqu’elle se retourna. Son regard plongea vers Françoise pour la toiser puis par-dessus l’épaule de Françoise vint s’arrêter dans les yeux de Pierre. Puis le visage reprit son mouvement. Elle riait bruyamment et avait de grands gestes désordonnés comme peut l’avoir une personne au comble de l’excitation. Elle faillit bousculer Françoise et passa devant Pierre comme un éclair. Il ne vit pas sortir Dan et resta planté pour voir s’éloigner le corps de cette femme qui se sentant regardée et prise un peu en défaut dans cette exubérance trop manifestement affichée, se remettait droit et adoptait une démarche plus chaloupée comme il convient à une femme lorsqu’elle sent dans son dos le poids d’un regard. Pierre constata qu’elle avait remis ses bras en avant, qu’il voyait donc l’ensemble de son dos. Il put juste poser son regard sur ses fesses et sur ses jambes et la jeune femme disparut dans la salle des douches. Il vit l’homme y entrer et entendit encore les rires de la femme que le bruit de la douche finit par étouffer. Françoise le hélait bruyamment et il rentra dans la pièce. Cette femme, cette expression, ses yeux et son regard l’éblouissaient. Vite, il se remémora le dos de ce corps pour vérifier que l’image avait bien été correctement saisie. Certes mis à part le visage et ce regard perçant, il manquait l’image du devant… les seins, le ventre, la toison mais sa décision était déjà prise de capter ce plan. Il regarda alors la pièce. 

Dans cette chambre, Laurie et Dan avaient fait l’amour. En sortant, Laurie était radieuse, débordante de vivacité et Pierre dut constater que c’était la première fois qu’il avait aperçu le visage aussi radieux d’une femme. Ce corps debout en mouvement, ondulant, riant, parlant, gesticulant, cette serviette fripée qu’elle tenait à la main et qu’elle avait mise sous elle pour ne pas tacher le drap attestaient bien qu’ils avaient échangé quelque chose qui faisait partie de la définition du bonheur. Ce bonheur était contenu dans tout l’espace qui entrait en contact avec elle. Il n’était pas confiné dans le seul sourire, il ne se cantonnait pas au seul visage que d’ordinaire Françoise avait en restant allongée immobile sur le lit. Pierre était content que la soirée commença si bien, si fort. Poète, il en avait eu marre des mots et du jeu stupide que l’on pouvait en faire; d’ailleurs stupide est l’anagramme de dispute et il s’était toujours battu farouchement contre la stupidité des gens. Ensuite il en avait eu marre de scruter les gens dans la rue, à leur travail, dans leur voiture en train de risquer par omission d’écraser leur prochain. Les récits de guerre, de massacre et de génocide lui montraient des aspects moins ordinaires des humains mais même les cris de révolte qu’adolescent il avait jetés aux autres, l’avaient finalement lassé. Les caresses, les plaisirs partagés avec Françoise lui avaient révélé le visage essentiel qu’il attendait des humains et de suite, ce soir, cette jeune femme venait le confirmer dans sa quête actuelle : voir, participer et partager des moments avec d’autres qui, s’ils étaient réussis, viendraient enfin le convaincre et le rassurer qu’il n’y avait pas sur terre que des étrangers indifférents, méchants. et qu’une communion était possible. Il n’était plus Brecht à la recherche du “gute mensch von Sezuan”, ici et maintenant il possédait plein les yeux le bonheur de cette jeune femme après l’amour ! 

C’en était fini de ces regards que les hommes portent sur les femmes avec cette outrecuidance accrue par le fait d’une lâcheté qui d’avance sait qu’aucun autre contact ne sera possible. Ici, les femmes étaient nues et elles ne cachaient pas leur sexe en serrant les jambes. Le regard échangé portait votre responsabilité : vous saviez en croisant votre regard si cette femme accepterait ou non votre approche. A vous de vous débrouiller pour aller vers elle et si vous n’y alliez pas, alors à jamais vous emporteriez le souvenir d’une relation manquée, d’un regard qui se serait perdu, d’un brin de lumière qui se serait éteint et honte à vous de gâcher ainsi la vie… cette vie qui ne demandait qu’à aimer ! 

Plus misérable encore pouviez-vous être si par votre passivité vous ne daigniez accrocher le geste qu’elle faisait discrètement vers vous ! Ici, vous ne pouviez rester en vous, il fallait sortir de vous et aller vers les autres, en commençant par celle qui partageait votre vie en dehors de ces moments-ci ! 

En voyant et revoyant le regard de Laurie, Pierre se convainquit de la promesse de communion qu’il y trouvait. Cette communion appartenait-elle à son compagnon, était-ce la suite, la poursuite de ce qu’ils venaient de vivre ou bien alors cette communion était telle que lui, Pierre, par le simple fait de l’avoir croisée, en faisait maintenant également partie ?

Oui, Pierre se souvint de quelques Tantras bouddhistes et de l’attitude du tantrisme envers les passions.

” On peut atteindre l’accomplissement par cela même qui conduit à la chute ” et encore ” Les passions perdent leur caractère d’impureté quand elles deviennent absolues, c’est à dire des forces élémentaires, comme le feu, l’eau, la terre, le vent “.

Tantras bouddhistes

Non, il n’était pas coupable d’avoir percé avec son regard les courbes dénudées de ce corps féminin ni d’avoir conservé cette expression de bonheur suave lue sur le visage de cette jeune femme. Non, il n’était pas un voyeur secoué d’une envie jalouse perverse et maladive. Il avait trouvé les marques d’un bonheur parfait et la beauté de ce corps féminin magnifiait davantage encore cette idée soudaine qui venait d’accaparer son esprit : il tenait là un absolu, un mouvement de son âme vers ce visage propre à caractériser une passion absolue. D’ailleurs il sentit naître en lui derrière sa passion une force démesurée pareille à un feu qui embrase tout. Pierre réfléchit, il reconnut l’apparition d’une Shakti, une déesse et ce devait être une déesse de l’amour ! Il voulut connaître la chaleur du corps de cette femme, à quel moment elle commencerait à brûler, à transpirer sous lui, quand son sexe se liquéfierait, qu’elle râlerait emportée par la force avec laquelle il la prendrait. Ensuite il lirait sur son visage, dans le frémissement de ses paupières baissées, de ses lèvres ouvertes, à travers les dernières ondulations de son corps, la vigueur de la cambrure qu’elle garderait un dernier moment, les lignes de ce paysage infini où il le pressentait, un jour futur ils pouvaient ne plus faire qu’un. 

 Françoise

Pierre ne put aller plus loin dans le déroulement fugitif de ses pensées. Françoise le réclamait. Elle avait vu que Pierre avait été très impressionné par la vue de la jeune femme qu’ils avaient croisée. Elle aussi avait perçu l’expression de ce bonheur mais plus simplement que son mari, elle voulait de suite partir avec lui à la recherche ici de ce même bonheur. Les murs, le drap, l’éclairage étaient beiges crème. Françoise se tenait le long du mur sur la banquette matelassée qui entourait le lit. Le drap était tendu sans un pli. Laurie et Dan avant de partir et assurément Dan seul, avait remis en ordre la pièce. La propreté du lieu persuada Pierre qu’ils avaient affaire à des gens très fréquentables et ceci augmenta encore son désir de les rencontrer.

Françoise avec un pied essaya de marcher sur le lit. Comme le matelas était rempli d’eau, cette pression créa de l’instabilité et elle ne savait trop comment procéder. Pierre reprit avec pragmatisme les opérations en main. Il lui ordonna de quitter son bustier et sa culotte, de jeter bien à plat la serviette au milieu du lit et de s’y coucher. Mise en confiance, docilement, elle s’exécuta. Et qui plus est, Pierre constata que comme à l’accoutumée, elle avait ouvert ses cuisses dans une position confortable, ni provocante ni pudique, suffisamment resserrée encore pour laisser le plaisir à l’homme de les lui ouvrir plus largement, suffisamment ouverte pour qu’il puisse voir dans quel état se trouvait son sexe. Après avoir essayé quelques mouvements et trouver le rythme d’un bercement agréable, elle fixa ses yeux et son grand sourire sur Pierre et nu lui aussi, il entreprit de se coucher à côté d’elle. L’eau en clapotant d’un bout à l’autre de l’enveloppe faisait un bruit fou. Il attendit que leurs positions soient stabilisées pour découvrir leurs images sur les miroirs du plafond et sur ceux du mur en face. 

C’était la première fois qu’ils se voyaient nus l’un à côté de l’autre. Ils se regardèrent par miroirs interposés, se sourirent muet, un peu maladroit. Françoise commençait à regarder un peu trop fréquemment vers la porte, inquiète à l’idée que d’autres pourraient entrer. Pierre lui écarta alors les cuisses et s’appliqua plus que d’habitude à faire avec son corps des mouvements rythmés et gracieux car il voyait qu’elle fixait le plafond et le regardait dans son dos. Il exagéra alors son mouvement et elle pouffa de rire tout en laissant jouer ses mains sur le dos de son amant, ses fesses, comme une gamine qui joue dans son miroir. Pierre la prit enfin plus sauvagement. Ils s’étaient habitués au matelas qui les faisait rouler d’un côté à l’autre. Elle se cramponna aux épaules de Pierre et y blottit sa tête. Un bref regard dans lequel il lut toute sa soumission lui dit qu’elle était prête et il accéléra pour se décharger en elle. Elle ne lui laissa pas le temps de se reposer et vint sur lui comme il aimait tellement qu’elle le fasse. Constatant que Pierre regardait également les miroirs, elles cambra ses reins et prit un mouvement plus long et ample. Elle allait et venait avec une application rare, ses petits seins massaient la poitrine et parfois le visage de son amant. Son regard était plongé dans celui de Pierre. Elle essayait de lire sur son visage le plaisir qu’il avait à chaque position qu’elle prenait et lui, s’essayait à ne pas se trahir pour faire durer ce plaisir. Ses deux mains plaquées sur les hanches de Françoise, il la poussa à s’asseoir bien profonde sur son sexe, la plia contre lui.

Après lui avoir écarté les cheveux du visage, ceci pour mieux la voir, il lui caressa les fesses et avec son index alla à la rencontre de son pénis, en cherchant à travers la mince cloison de chair à toucher son gland comme pour une masturbation particulière. Elle secouait la tête de plaisir, étouffant ses sanglots et ses mots sur un matelas qui ne cessait de se dérober sous leurs mouvements. Pierre regardait et elle, sans aller à la rencontre de ce regard, elle savait qu’il la regardait, qu’elle montrait tout d’elle comme jamais jusqu’à présent un homme n’avait pu la voir. Elle qui affectionnait de regarder ses fesses dans les miroirs, elle qui plus jeune avait fait avantageusement quelques concours de fesses avec l’une ou l’autre de ses amies, elle qui croyait dur comme fer au pouvoir puissant de son cul sur les hommes, se décida enfin à jeter de côté la tête en arrière pour regarder elle aussi le mouvement du pénis et des deux doigts qui la défonçaient. Aux petits râlements de satisfaction, Pierre comprit qu’elle était prête à se faire prendre par deux hommes à la fois. Il vit Dan s’installer contre les fesses de Françoise et cette image lui plut. Il ne se souvenait d’aucun détail du corps de Dan mais du moment que ce dernier baisait cette jeune femme qui le hantait, il consentait à lui donner le cul de Françoise. 

Ils restèrent étendus l’un sur l’autre longuement. Elle recommença à faire onduler son corps et elle berça doucement son amant sur les vagues qui naissaient au creux de ses reins. De temps en temps lorsque sa tête se rapprochait de lui, elle s’emparait des lèvres de son partenaire et lui déversait quelques flots de salives brûlantes. Elle rappuyait ensuite plus fort sur ses cuisses, se plantait plus profondément sur le sexe de l’homme pour le pousser vers le bas à écraser le matelas et s’enfoncer dans l’eau. Puis ils se laissaient soulever par le reflux, envahis par une sensation de légèreté qu’accentuait la danse de leurs corps emmêlés sur les miroirs. Trois couples en fait se mouvaient. Ils étaient les autres, ils étaient eux-mêmes et tous s’aimaient ! 

 La chambre orange 

Après la douche, Françoise accepta d’entrer dans la chambre aux couleurs orange. On aurait dit une couveuse tant les teintes de lumières étaient chaudes. Au fond, adossés aux miroirs qui tapissaient la moitié inférieure du mur, deux couples s’activaient. Il fallait attendre deux à trois minutes, le temps que les yeux s’adaptent à la clarté, pour distinguer nettement qui était là. Pierre s’était assis contre le mur en face de la porte d’entrée. Françoise se tenait du même côté mais un peu plus dans le coin. En face d’eux, trois autres couples regardaient comme Pierre et Françoise; parmi eux Pierre reconnu Laurie et Dan.

Au fond de la pièce, des deux couples, celui de gauche captait l’attention. L’autre était allongé et en se caressant regardait de temps en temps le premier. C’était toutefois Pierre et Françoise qui avaient la meilleure vue sur le premier couple. L’homme adossé au miroir se tenait sur le coude gauche et de sa main droite caressait le sexe de la femme. Elle faisait face à la salle et se tenait sur ses coudes, une partie du dos reposant sur la poitrine de l’homme. Elle se penchait en arrière sur la gauche pour laisser davantage de liberté aux mains de l’homme sur ses seins, son sexe. Elle relevait ses cuisses en posant à plat la plante de ses pieds. Sa tête allait en avant, en arrière et c’était surtout le mouvement de sa longue chevelure qui permettait d’en suivre le rythme. Elle était grande et la clarté ajoutait à son bronzage intégral. A un signe de l’homme, elle arrêta son mouvement et posa son regard sur Pierre qui était le plus près à les observer. Ses cheveux caressèrent subrepticement sa poitrine, chacun de ses seins lourds et fermes dont l’excellente tenue devait être due à des exercices physiques réguliers. L’homme retira sa main pour permettre à Pierre de la regarder entièrement. Dans cette pose, elle ne pouvait pas être plus belle ! Sa toison abondante ne pouvait cacher son sexe gonflé. Les lèvres restaient écartées et l’entrée du vagin était visible. La main de l’homme reprit son mouvement, lentement. Les yeux de l’homme fixaient Pierre. De suite la femme se remit à ployer son corps en amplifiant les caresses que l’homme lui prodiguait. Très vite le bruit que faisaient sous les pressions de la main les plis de chair inondés de cyprine monta pour envahir la salle. C’était le clapotis des vagues. Le couple était entouré par ce bruit qui générait la réminiscence puissante de la mer… une mer qui coulait le long des cuisses de la femme. Le second couple s’immobilisa pour mieux partager cette atmosphère.

Cette évocation magnifique réunissait deux amoureux et la nature, l’eau, le vent, la mer, la plage, les rochers… Pierre restait ébahi par le spectacle insoupçonné que lui donnaient cette femme et cet homme. Ce bruit parlait de l’eau, d’une force élémentaire capable de soutenir un absolu. Pierre se remémora les tantras. Le couple n’exhibait pas un vice quelconque mais il offrait le partage d’une passion qui dans son absolu était bel et bien pure ! Les émotions n’étaient plus à un stade réactif banal mais elles se hissaient à un plan d’énergies pures, dans une unité vibratoire et purificatrice. Cela le changea si profondément des grincements des ressorts que le matelas de leur lit avait bien finis un jour par sourdre. Depuis, il devait toujours contrôler son énergie pour ne pas éveiller les enfants, les voisins. Cette contrainte ne l’avait pas mis sur la piste de ce rythme magique, de cette marée qu’était capable de recréer une femme. Pierre dévisagea Laurie. Elle aussi était accaparée par cette force élémentaire de la mer, elle aussi avait purifié son vouloir pour s’élever à cette unité vibratoire. Pierre en conclut que Laurie était capable de comprendre le tantrisme et qu’elle pouvait être une yogin. L’homme activa le mouvement et conduisit la femme à un orgasme violent qui se manifesta dans la cambrure extrême que prit son corps. Elle cria faiblement, gémit, eu du mal à calmer sa respiration puis elle se tourna pour venir embrasser longuement son homme. Elle était suspendue à son cou et Pierre put admirer tout son dos, ses cheveux, ses fesses, ses longues jambes qui s’inséraient dans celle de son amant…ce qui les écartait et permettait de voir sous les fesses le sexe béant. Elle resta un bon moment ainsi et Pierre eu du temps à profusion pour graver cette vision dans sa mémoire. 

Le second couple prit la relève. Il s’était remis à s’embrasser et à se caresser. Pierre dévisagea Laurie et Pierre. Ils étaient nus et leurs mains enlacées pouvaient suggérer qu’ils se caressaient réciproquement. Pierre se mit également nu et déshabilla Françoise dans la foulée, ce qui lui déplut. Puis comme les autres couples, Pierre regarda l’homme et la femme qui s’aimaient. La femme était couchée sur le dos et l’homme, à genoux, était venu lui soulever le bassin pour en pénétrant entre ses jambes, la déposer sur ses cuisses. Elle avait croisé ses jambes derrière le dos de l’homme pour mieux s’arrimer à lui au cours du voyage et l’on voyait cela dans le miroir. Il la tenait solidement vers lui par les hanches et elle avait jeté en arrière ses bras ballants, s’abandonnant entièrement à la pénétration de l’homme. La synchronisation de leurs mouvements était très harmonieuse. Le regard s’attardait surtout sur l’ondulation du corps féminin. Sa souplesse était captivante et magnifique l’amplification du mouvement originel imprimé par l’homme. La toison couronnait la partie la plus haute du corps féminin et l’on pouvait croire que ce coussin qui recevait les poussées vigoureuses du mâle, avait le don de les atténuer, de les transformer en ces ondulations langoureuses qui donnaient au corps de la femme cette souplesse, cette légèreté, cette grâce incomparable. Très vite la respiration puis les cris de la femme accompagnèrent les mouvements.

Une fois de plus, la libération de cette force primaire évocatrice maintenant du vent et du feu mêlés purifia les faits et gestes. Précédemment, l’autre femme avait peu crié. Celle-ci donnait libre cours à sa jouissance et en fait, tous, son amant compris, étaient suspendus à cette voix, à ces cris qui allaient crescendo. Une seule question emplissait maintenant les esprits: jusqu’où cette montée du plaisir pouvait-elle aller ? Pierre un bref instant se prit à observer la réaction des autres spectateurs. Laurie adossait sa tête sur l’épaule de Dan. Ils se masturbaient ouvertement l’un l’autre doucement, entièrement captivés par le spectacle. Le premier couple regardait en étant couchés sur le côté. Françoise regardait aussi, captivée. Les cris de la femme devenaient insupportables et mettaient mal à l’aise. Quelque chose, une pensée apprise un jour pouvait vous pousser à trouver cela indécent et pourtant votre esprit recevait ces cris comme des appels, comme quelque chose de fantastiquement beau car vrai, naturellement vrai, absolument nu et vrai… pure ! C’était la nudité de l’intérieur du corps qui sortait et s’épanouissait à envahir votre propre corps ! L’homme devenait plus violent et emportait le corps de sa partenaire jusqu’à la soulever et la frapper sur le matelas pour rebondir. Le vent et le feu venaient se heurter à la terre et le concert des forces primaires devint assourdissant, d’un absolu stupéfiant, d’une pureté fantastique ! L’ampleur des coups de reins que l’amant donnait permettait de voir une partie de son pénis entrer et sortir du corps féminin.

Rien n’était caché; tout était vrai. Les cris se rapprochèrent jusqu’à ne plus former qu’une explosion de sons d’abord aigus puis plus graves et profonds jusqu’à mourir dans une espèce de rauquement sans souffle, sans voix. Les mouvements s’immobilisèrent et l’homme resta soudé au bassin de la femme. L’assistance constatait qu’il prenait le temps de se vider entièrement en elle comme si même la dernière goutte de son plaisir à lui n’était pas suffisante pour éteindre le feu de son plaisir à elle. 

Puis ensemble, les deux femmes se levèrent. Elles se tournèrent vers les miroirs pour se recoiffer. Pierre les surprit en train de regarder l’assistance, désireuses qu’elles étaient de connaître les effets qu’elles avaient provoqués. L’une après l’autre, elles ramassèrent leur lingerie et suivies des hommes, très droites et dignes, elles sortirent de la pièce; elles devaient bien se connaître ! Laurie et Dan leur emboîtèrent le pas. Françoise d’un seul coup se leva et eu juste le temps de prendre la porte que Dan lui tenait ouverte. Elle le remercia spontanément en français et il lui fit un grand sourire. Pierre, toujours assis regardait, ce qui lui valut des regards courroucés de Françoise. Il sortit lui aussi. L’heure était propice à aller se restaurer et en suivant Laurie et Dan, ils se rendirent à la salle à manger. Après une douche rapide, les deux autres couples les rejoignirent juste au moment où une table dans le coin de la pièce venait de se libérer. Après s’être interrogés du regard les quatre couples s’y installèrent, tâche facilitée par la présence d’une banquette disposée en u qui permettait de se serrer. Une fois tous assis, il restait à aller se servir au buffet. Les deux femmes poussèrent la table  pour se lever et de la main, elles firent signe à Laurie et à Françoise de les accompagner. Les hommes attendirent. Pierre regarda les quatre femmes se diriger vers le buffet. 

 Le repas en groupe

Celle qui avait joui la première portait un body champagne dont le bas était en forme de string. L’autre portait une culotte ample couleur sable avec des dentelles sur les côtés et c’était tout. Laurie avait une tenue plus sophistiquée: un petit corsage blanc avec des lacets sur le devant, un slip brésilien, un porte-jarretelles blanc avec des bas blancs. Son bronzage en ressortait d’autant. Françoise ne déparait pas du tout au milieu d’elles et cela flatta Pierre. Sa tenue quoique plus classique, bustier et petite culotte à fleurs, était en soie achetée par Pierre. Les quatre avaient quasiment la même taille: elles étaient grandes et mesuraient environ un mètre soixante quinze. Pierre comprit que s’attarder plus longtemps dans cette contemplation pouvait paraître gênant vis à vis des autres hommes et ramenant son regard vers eux, il ouvrit la discussion en allemand. Venaient-ils souvent ici? …lui, c’était la première fois. De quelle région venaient-ils? …et ils se présentèrent. L’homme de la première femme s’appelait Werner, il venait de Bâle. L’autre se prénommait Sepp et arrivait de Mannheim. Ils avaient à peu près le même âge : milieu de la quarantaine. Dan se présenta puis Pierre. 

Ils étaient plus jeunes d’une dizaine d’années. Les hommes donnèrent ensuite les prénoms de leurs épouses : respectivement Barbara, Sandra, Laurie et Françoise. Les prénoms de Dan et Pierre attirèrent l’attention. Sepp interrogea Pierre et celui-ci se plut à remarquer que le ” französiche lebensart ” sévissait toujours autant outre-Rhin. Quant à Dan, Sepp était plutôt embarrassé pour l’interroger, sachant déjà qu’il était un soldat américain. Le Suisse avait l’air sympathique mais plutôt discret. C’est alors que les femmes revinrent, leurs assiettes largement remplies. Françoise était encore au buffet en train de se décider lorsque les hommes la rejoignirent. Elle leur céda la place et Pierre vit que son assiette était à moitié vide. Connaissant l’appétit de son épouse après un effort physique ainsi que le caractère tortueux de ses décisions, il dut admettre que pour elle le repas commençait mal car partie comme cela, elle allait rester sur sa faim, cause première de mauvaise humeur chez elle. 

Une fois tous assis et alors que les femmes n’avaient pas échangé de conversation, plongées qu’elles étaient dans l’évaluation calorique des assiettes des unes et des autres de manière à se rassurer intimement sur le choix gourmand qui avait eu raison d’elles, Sepp relança la conversation. La salle à manger n’était que brouhaha tant les gens parlaient, certaines tables plus que d’autres et ces habitués ne faisaient pas le meilleur effet. Dans ce domaine, la palme revenait à une tablée de personnes dans la soixantaine, des habitués qui fumaient abondamment tout en jouant bruyamment aux cartes, monopolisant ainsi des places pour les amoureux épuisés d’efforts qui tentaient de se restaurer. Sandra en allemand les critiqua d’ailleurs vertement mais cette tablée ne pouvait entendre. Sepp s’adressa ensuite à Françoise en français très correct. Il déblatéra sur le mythe de la Française super woman. Après lui avoir répondu et en femme d’affaire courtoise, elle lui tendit la main pour conclure je ne sais quel marché. Cela surprit toute la tablée mais Sepp, galant homme, réussit à garder la main pour lui faire un baisemain raffiné. Ce brin d’humour finit par détendre l’atmosphère et les rires succédèrent à ceux de Françoise. Laurie qui était à côté d’elle, lui prit à son tour la main et yeux dans les yeux, dans un français impeccable sans accent étranger, lui déclara que d’ordinaire, elle ne baisait pas chez une femme la main mais autre chose. Le sourire qu’elles échangèrent parvint jusqu’à Pierre à travers l’hilarité générale. Décidément cette femme l’intéressait ! Ce devait bien être elle, l’auteur des lignes qu’il avait retenues. Il s’attarda un instant sur ce visage débordant de vie. Il fit abstraction des blonds cheveux qui touchaient le bas de sa nuque, partit de son nez fin aux angles tranchés et bien symétriques, remonta ses joues pleines parsemées délicatement de légères tâches de rousseur, mesura la profondeur de ses arcades sourcilières pour constater que cette profondeur n’arrivait pas à dissimuler le caractère saillant de ses grands yeux bleus aux regards tour à tour perçants, profonds. Pierre se souvenait d’une femme peintre avec laquelle il avait une fois discuté d’ésotérisme. A la fin de leur entretien, cette artiste lui avait avoué qu’elle y avait trouvé confirmation de ses prémices. De suite elle avait vu que les yeux de Pierre étaient des yeux exorbités, propices à être médium. Les yeux de Laurie pouvaient aussi se ranger dans la catégorie des yeux de médium. Yogin ou médium ? Le savait-elle ou Pierre allait-il le lui révéler ? 

Il se remémora la phrase: ” je suis tombée amoureuse aujourd’hui et pour toujours, jusqu’après ma mort encore !” Que voulait-elle dire “après ma mort? » Qu’en savait-elle ? Pierre avait appris que le passage de la mort révèle l’Amour et qu’après, ce que l’on vit sur terre fait que ce que l’on a connu avant ce passage n’est plus que pauvre amour humain….mais d’une pauvreté ! Maintenant les yeux de Laurie qui étaient probablement des yeux de médium, venaient conforter la première impression qu’il avait eue. Comment avait-elle deviné que Françoise n’était pas du tout insensible aux charmes de Sapho ? Lui le savait car Françoise lui avait avoué une fois que cela lui manquait depuis le temps de son adolescence où elle avait conjugué la gamme des émotions et des sensations physiques avec quelques-unes unes de ses meilleures amies lycéennes ou étudiantes. Tout dans l’expression de Laurie indiquait qu’elle n’avait pas simplement extériorisé un de ses fantasmes mais qu’en connaissance de cause, elle s’était adressée à une disciple comme elle de Sapho. C’était bien ainsi qu’elles avaient échangé leur message et que Pierre l’avait décodé ! Quel coup d’œil avait cette Laurie ! Pierre en déduisit qu’il aurait affaire à forte partie. Il ne put aller plus loin dans ses pensées. Françoise lui donnait quelques coups de coude dans les côtes pour le ramener à table. Tous le dévisageaient avec un regard perplexe et un peu moqueur. Il est vrai qu’arriver à s’échapper aussi vite d’un tel brouhaha et d’une aussi charmante compagnie pourtant fort rapprochée, dénotait d’une solide aptitude à se détacher de tout pour rêver… en sportif accompli, Pierre aurait cependant ajouté: une solide aptitude à se concentrer ! …Bref, les femmes, d’un seul chœur réglé par Françoise, le réprimandaient et l’interrogeaient. Un rêveur, à qui rêve-t-il ? …à des femmes ? …et lesquelles, à toutes ou à une seule ? …et à laquelle, à moi ? Est-ce moi ? Et moi? Il leur sourit amusé et leur transmit en pensée qu’elles faisaient toutes partie de son rêve. Au fait, pourquoi s’en priver ! Il aurait tout le temps plus tard de prendre à part Laurie. D’ailleurs elle le regardait d’un air si compatissant qu’il en conclut qu’en consœur, elle partageait par expérience la peine qu’il y avait de quitter ces moments de détachement et de bonheur… moments où l’esprit vous entraîne dans une communion avec tout ce qui vit autour de vous… prémices d’une communion autrement bien plus bienheureuse et que l’on pouvait connaître dès cette vie charnelle et terrestre. Laurie était capable de partager cela car elle devait connaître ces moments ! Elle savait qu’il y avait une face cachée chez Pierre tout comme il en existait une chez elle. Elle venait d’ouvrir la poterne de ce jardin secret et dans son regard compatissant, Pierre y trouva l’assurance du partage des joies et des peines qui parsemaient ce chemin. 

Pierre pensa aux peines. Il avait toujours su garder la maîtrise de sa conduite pour ne pas sombrer dans la folie. A travers l’expérience qu’il pressentait possible, son carnet de route largement étoffé de rencontres vitales devait lui servir pour ne pas se perdre avec Laurie. Il chassa ses idées noires et plongea ses yeux dans son assiette. Les autres avaient presque fini la leur. Mais les verres étaient restés pleins. Il releva alors la tête, leva le verre et lança un “zum wohl” chaleureux. Les autres levèrent leurs verres. Sepp reprit Pierre dans un français approximatif: “nicht zum wohl mais à l’amour !” et chacun poursuivit ” à l’amour !”, Françoise comprise. Pierre se laissa aller à un large sourire. Il avait tout de même réussi à faire naître entre eux ce premier moment de communion, devoir naturel d’un poète pour qui la poésie consiste avant tout à agir sur les façons de vivre. Il était content d’avoir trouvé un lieu et des compagnons pour vivre plus ostensiblement en poète. Lorsque Pierre eut vidé son assiette, Barbara s’empressa de déclarer en français qu’après avoir bien mangé, elle voulait bien passer à autres choses et plus seulement à des caresses, qu’elle voulait être baisée ! Sandra en allemand à son tour déclara qu’elle voulait être re baisée ! Laurie en anglais dit qu’elle n’attendait que cela. Françoise eut du mal à dire quoi que ce soit. Sepp la devança et en français, expliqua qu’une française était toujours prête pour cela. Avant qu’elle ne se défendit, Laurie, en français, s’interposa: “prête à ce qu’il y a de mieux en amour et de cela je m’en charge !” Sepp dut abandonner sa proie et il se fit rabrouer par Sandra qui pour le moment tenait à le garder près d’elle. Sur ce, ils se levèrent et regagnèrent le premier étage. La chambre aux couleurs chaudes était déserte. Ils se déshabillèrent et s’y installèrent tous les huit. 

 L’extase amoureuse

Françoise avait la fâcheuse habitude d’attendre toujours que quelqu’un lui enlevât la culotte. Laurie saisit l’occasion et se précipita sur elle. Françoise aimait résister et se battre quelque peu avant de céder. Elle en fit de même avec Laurie mais lui laissa assez rapidement le plaisir de montrer à tous son dernier bout d’étoffe. Essoufflées par leur chamaillerie, elles se couchèrent face à face sur le côté. Laurie lui caressa le visage. Françoise se rapprocha et l’embrassa. Dans ces cas là, c’était toujours elle qui emportait la décision. Tout en se donnant mutuellement du plaisir, elles s’exhibaient librement. Une fois repues, elles restèrent couchées face à face, leurs jambes emmêlées, leurs mains serrées. Dan et Pierre voulurent se rapprocher de leurs compagnes. La place qu’ils avaient prise faisait que maintenant Pierre était plus proche de Laurie et Dan de Françoise. Ils ne réfléchirent pas davantage. La communion de ces deux femmes leur avait donné une identité jusque là inconnue. Que ce fût l’une ou l’autre, l’une possédait une partie de l’autre et vice versa. Ils s’approchèrent de la femme la plus proche pour se serrer contre elle. Pierre n’eut pas le temps d’analyser le contact avec le corps de Laurie qu’elle s’était retournée et, les yeux baissés, elle s’abandonnait dans ses bras. Françoise au même moment en avait fait pareil avec Dan. Voyant cela et pour ne pas s’immiscer dans l’échange qui débutait, alors que la partie spectacle était terminée, les deux autres couples prirent un peu de distance et s’occupèrent de leur côté. Pierre vit que Françoise recevait déjà Dan entre ses cuisses. Il s’enquit alors de prendre cette femme qui s’était révélée aussi soudainement à lui. Laurie, consciente également de la tournure des événements, était disposée à prendre son temps, à ne pas céder à une quelconque impulsion charnelle mais bien à élaborer elle aussi cette alchimie entre leurs corps et leurs esprits capable de les emporter loin… très loin ! 

Depuis combien de temps lui faisait-il l’amour ? …Il était parti de sa joue droite, du lobe de son oreille, de sa nuque, du parfum de ses cheveux pour parcourir toute l’étendue de son corps. Il était passé partout avec ses lèvres, son nez, ses yeux, souvent sa langue et à chaque détour, Laurie s’était pliée, retournée, ouverte davantage. Elle savait qu’en laissant errer comme un fou son amant sur les immensités de son territoire, au plus profond de son domaine, il en arriverait à perdre la notion du temps et il serait à elle tout ce temps démesuré dont elle avait fait les soubassements de sa vie la plus intime, la plus à elle. Pierre s’était jeté dans cette quête de l’espace féminin sachant que le moment viendrait où, perdu sur cette chair apaisante, il ne lui resterait plus qu’à accaparer ces instants de sensations merveilleuses et puissantes. Et plus fort qu’il les serrerait, ces instants disparaîtraient, alors que d’autres surgiraient puisqu’il n’avait pas quitté cette peau, cette chaleur, ce parfum ! …Ce mouvement s’accélérerait, il s’y engouffrerait, poursuivant le temps alors qu’il détenait cet espace féminin. 

Tout comme il l’avait connu avec le corps de Françoise, Pierre savait qu’en possédant les espaces de ce corps féminin, il tenait au creux de ses mains la chaleur d’une vie, les battements d’un cœur capable de rythmer l’échange prodigieux entre cet envoûtement libérateur et cette chaleur bienfaisante condition de la fusion des êtres, source captivante qui infailliblement le ramènerait à cette vie charnelle. En prenant possession tout entière de Laurie, il ne put éviter d’évaluer quel concours cette femme pouvait lui apporter dans son travail de poète. En cas de problèmes, cette présence féminine qui avait participé à la communion de la chair, par la seule force de l’amour humain, était-elle capable de déclencher la prière salvatrice que lui, même perdu dans l’au-delà, par l’intercession de l’Être supérieur, saurait capter ? …Alors les esprits se retrouveraient et le sien regagnerait plus sûrement son corps. Il fallait simplement que la partenaire ne remarque rien de ces éloignements momentanés, de ces décorporations minimes. Une fois l’absence du poète découverte, elle devait recourir à la prière salvatrice ou alors, si elle était parfaitement au courant de ce genre de technique avancée, elle devait, le moment venu et calculé, si le poète n’était pas de retour dans un délai raisonnable, prier l’Être supérieur de lui ramener son amant perdu au-delà des limites de la pensée… technique plus avancée par rapport au simple acte de faire l’amour…

Par expérience cette fois prouvée, Pierre faisait bien plus confiance à ce langage des corps qu’à la rhétorique de son esprit ! Le statut conjugal avait quelque peu étouffé la spontanéité avec laquelle, jeunes amants, Françoise et lui, avaient joué de ces sensations puissantes. Ils ne prenaient plus le temps de longues après-midi ou d’interminables nuits d’amour et Pierre s’était résigné à ne plus chercher à partir hors de son corps lorsque celui-ci, épuisé d’amour ne lui servait plus à rien. A l’époque, il l’abandonnait joyeux, la tête sur la poitrine de sa maîtresse et elle, lui caressant les cheveux tout en somnolant elle même, elle était heureuse d’attendre ainsi son amant de poète qui un jour allait l’emmener elle aussi dans ces espaces-temps où, lorsqu’il revenait en elle, nourrissait d’éternité leurs amours, le corps brûlant d’une fièvre nouvelle attisée par la marque indélébile d’une lumière indicible inconnue ici-bas. Pierre avait le pressentiment à travers la chaleur du corps de Laurie, qu’il venait de trouver une maîtresse capable de lui transmettre la force élémentaire avec laquelle il pouvait repartir, abandonner son corps sur ses seins et partir… partir ! 

Depuis combien de temps lui faisait-il l’amour ? Il avait maintenant dépassé le stade où le temps s’efface dans une poursuite infernale. Son esprit avait été emporté par toutes les sensations de bonheur que Laurie lui avait donné et elle avait donné bien plus que ce que Pierre pourtant avait pensé lui donner. Il décida de retrouver tous les instants de sa vie. Ceux-ci s’imbriquèrent les uns dans les autres et le dernier instant réapparut dans sa dimension globale. Laurie …il la voyait tout entière, de pas si loin que cela. Il vit son corps à lui couché sur elle. Il perçut qu’il était en elle mais ici, il était seul. Là-bas il n’y avait plus qu’elle et un corps inerte. Ici il n’y avait que Pierre, le Pierre de toujours mais il voulut qu’elle vienne près de lui et qu’ensemble ils aillent faire un bout du chemin, n’importe où mais dans des endroits où à jamais ils seraient heureux. Il l’appela encore mais elle ne bougeait pas. Elle restait toujours ridiculement là en bas !

Autour de Pierre, personne n’était venu et cela ne le surprit point. Cette fois-ci, il ne leur avait rien demandé… et de toutes manières, il savait bien qu’ils étaient là ! …Alors il ravala sa peine et se promit d’emmener un jour, une fois, cette jeune femme en voyage avec lui. Il sentait que Laurie avait un don pour communiquer intimement et maintenant qu’en très peu de temps, ils avaient dépassé ensemble les frontières des conventions sociales, des vêtements, de la pruderie frigide pour aussi vite véritablement se donner de l’amour, ils pouvaient aller beaucoup plus loin ! …Il ravala sa peine et décida de revenir prendre sa place près de Laurie… pourvu qu’elle n’ait rien remarqué ou alors par chance inouïe, pourvu qu’elle ait tout compris de ce moment si rare ! Ses yeux se rouvrirent près du visage de Laurie. Elle était immobile, son visage irradié de bonheur et Pierre y lut les prémices d’un partage consommé… Elle rouvrit les yeux et tendit ses lèvres. Après avoir mêlé leur trop plein de salive, il consentit à appeler son regard. Elle ouvrit plus grand ses paupières et du plus profond de ses yeux, d’en dessous du noir béant de la pupille, quelque chose, quelqu’un monta jusqu’à venir en lui.  

Il n’avait pas eu le temps de réagir, c’était le temps de celui qui gouverne tout et Pierre fut très heureux qu’il s’intéresse à leurs amours pour daigner venir en lui. Il voulut se fondre dans cette présence, tout lui donner pour qu’elle ne reste rien qu’un instant de plus mais déjà cette identité s’était fondue en lui. Pierre connaissait cette situation; c’était la deuxième fois que cela lui arrivait. Il fit serment de ne jamais oublier cette présence qui l’unissait dorénavant à Laurie. Était-ce parce qu’il avait prié Laurie de venir vers lui que cette identité, à défaut de Laurie tout entière, était venue à lui ? Pierre avait déjà utilisé la force de la prière et avec succès ! …mais là, c’était bizarre, il ne lui avait pas semblé prier quelqu’un d’autre que Laurie ! …c’était de la prière directe et avait-elle pu produire cette rencontre ? …Pierre, grand escaladeur de voies directes devant l’Éternel, se promit de reprendre plus tard cette question… Il restait une dernière interrogation : Laurie avait-elle demandé à cette identité d’aller au cœur de son amant ? Avait-elle également maîtrisé ce moment ? S’en souvenait-elle ? 

 Le poète et sa muse

Laurie se tenait allongée langoureusement. Pierre constata qu’elle le serrait de ses bras et de ses cuisses. En retrouvant tout son esprit, il s’aperçut qu’il était toujours en elle. En la quittant, il comprit qu’il lui avait donné son plaisir. Elle se retourna. Pierre se cala dans son dos et par-dessus son épaule, ensemble, ils regardèrent aux alentours. Personne ne faisait attention à eux. Apparemment Françoise et Dan n’avaient pas très avancé dans leur plaisir, les autres non plus. Ils en déduisirent que pour eux, depuis les premiers regards échangés, le temps s’était accéléré, ce qui leur avait permis de vivre si intensément. Leur regard cette fois-ci complice lui confirma qu’elle avait vécu au même niveau que lui le moindre des moments de leur intimité… même si elle n’avait pas répondu à son appel. Dans les yeux de Laurie, Pierre lut les contours de son projet à elle… pour lui ! Elle lui prit la main et laissant serviettes et lingerie, elle l’entraîna dehors. Ils ne prêtèrent pas attention aux couples qui faisaient l’amour au bord de la piscine et ils se dirigèrent vers le bois et le grand chêne, là où la nuit était davantage présente et le silence plus respectueux de leur intimité. La chaleur de ce mois de juin les enveloppait de bien-être et les ombres de la forêt tissaient comme une alcôve à leurs amours. 

– Laurie ? 

– non… ne parle pas ! 

Pierre avait hâte de savoir ce qu’elle avait saisi de leur échange. Laurie voulait encore un bref instant de répit pour trouver le courage de dire les mots qui agitaient son esprit, de les dire à cet homme qui l’avait prise sans détours et dont il y a deux heures, elle ignorait jusqu’à l’existence. Elle s’adressa à lui en français. 

– eh bien toi, tu sais prendre une femme ! Tu baises son corps et tu violes du même coup tout aussi naturellement son intimité la plus profonde. Tu as un drôle de toupet ! …Mais tu ne fais pas peur. Au fond, c’est la première fois que cela m’arrive et j’ai bien aimé… mon prince charmant n’aurait pas mieux fait pour briser mes entraves et libérer mon amour. Mais es-tu prêt à assumer tout ce que tu viens de réveiller entre nous ? Voudras-tu donner tout le temps de vivre que va réclamer cet amour que tu as éveillé en moi ? Moi, je le veux mais toi, ne vas-tu pas fuir une fois ton forfait accompli ? …Si tu n’es pas capable de trouver ce temps, je devrais avoir le droit de te tuer car un être aussi maléfique ne devrait pas pouvoir continuer à semer ainsi le trouble dans les âmes. Toi, tu ne t’arrêtes pas à la peau, tu ne vois même pas la chair et le sang de mon corps, tu fouilles plus loin pour chercher l’âme des gens. Ce qui t’intéresse ici, ce n’est pas le club pour couples mais bien un bordel possible pour les âmes ! Te rends-tu compte du dégât que tu aurais pu causer si tu étais tombé sur une autre que moi ! Qui es-tu donc pour délaisser aussi vite ta compagne, te précipiter sur moi pour me dévorer tout entière et maintenant me regarder les yeux penauds et les oreilles baissées ? Serais-tu tellement en manque de partage tel un solitaire qui ne peut plus supporter de vivre parmi la ville au milieu des autres si indifférents à sa quête ? …Tu me fais penser à un loup, connais-tu le loup des steppes d’Hermann Hesse ? 

Les yeux de Laurie avaient maintenant l’éclat de ceux d’un médium. Pierre fut convaincu que leurs deux âmes étaient pétries du même souffle de vie. 

– Laurie… ma tendre Laurie, comme tu me parles bien. Je ne m’appelle pas Harry Harding et tu vaux mieux que Hermine et Maria réunies ! 

Elle ne fut qu’à moitié surprise de la réponse précise de son interlocuteur et satisfaite de cette pensée commune, elle laissa courir plus loin sa confiance pour tenter elle aussi de s’immiscer dans l’intimité de cet homme étrange mais cultivé, honnête et généreux. 

– Crois-tu ? Mais toi, tu es bien un loup des steppes, incapable de contenir ta sauvagerie avec laquelle la nuit tu dévores la vie en broyant sous tes mâchoires le cœur des gens et qui le jour vit solitaire au milieu de la ville ! …Mon loup, sache que je suis capable de te soigner, de t’aimer comme peu de femmes sauront t’aimer ! 

– Alors tu es comme moi ! Serions-nous quelque part frère et sœur et là-bas… là-bas, nous pourrions ne plus faire qu’un ? Laurie, pouvons-nous rassembler cet ailleurs avec nos désirs présents, n’en faire qu’une seule démarche sans limites ? 

Instinctivement il s’était rapproché d’elle et elle n’avait pas cherché à fuir. Il l’enveloppa de ses bras vigoureux et se colla contre elle. Déjà, soumise, elle tendait ses lèvres sous ses yeux clos et ils s’embrassèrent longuement, se parlant de leurs langues à l’intérieur d’eux mêmes, tout en calmant l’impétuosité de leur désir par des caresses sur leurs épaules, leurs dos. Ensemble, de leurs deux mains, ils massèrent les fesses de l’autre et pour faire exploser les soupirs que leurs nez ne pouvaient plus contenir, chacun laissa une de ses mains se hâter vers le sexe de l’autre. Une fois le plaisir de leurs sexes répandu à travers leurs deux corps jusqu’à électriser le bout de leurs langues, ils daignèrent séparer leurs lèvres pour laisser leurs yeux s’abreuver des sourires et du bonheur de leurs visages. Pierre osa alors lui poser une question pour lui essentielle. Si Laurie répondait correctement alors leurs amours prendraient une dimension incommensurable, loin d’une rencontre passagère pour flirter assidûment aux frontières de l’éternité. 

– Laurie, qu’est-ce qui peut expliquer cette attirance si étrange entre nous et quelle est la force qui rend notre union si vrai, naturelle et pure ? 

– Pierre, tu connais la réponse à tes questions et je connais ces questions ainsi que leurs réponses. C’est inscrit dans la profondeur de nos regards, une profondeur que ni nos langues, nos doigts, nos sexes ne sauront trouver en pénétrant nos corps enlacés… Plus haut que nos émotions, une force vibratoire nous a réunit dans un même mouvement, une même passion au sens où passion veut dire mouvement de notre âme ! Nous avons touché à un absolu duquel nous ne pouvons plus nous éloigner et cet absolu purifie nos moindres gestes. La force qui se cache derrière ta passion, c’est l’air. Ma force, c’est le feu ! Tu vois ce que cela va donner ! Connais-tu le tantrisme ? Oui probablement. Alors il ne faudra plus jamais nous départir de cette passion absolue pour que tout ce qui va nous advenir reste pur et magnifique, inattaquable pour les autres…

Pierre ne put garder son regard dans les yeux de son amante. Il sentit l’émotion le gagner à faire couler des larmes de bonheur sur ses joues. Enfin il venait de trouver une autre âme pour cheminer ensemble. Il restait à confier à Laurie qu’il était poète, un dialogueur d’âmes, quelqu’un qui cherche à instaurer un langage de l’âme pour l’âme. Pierre se promit de parler un jour à Laurie de sa façon à lui de lire Rimbaud… tant de choses devenaient maintenant possibles ! Puis ils se parlèrent. Laurie ne voulait pas de suite se présenter d’une manière familière, dire qu’elle était son travail, qu’elle était son histoire. Plus tard dans cette nuit car plus tard il y aurait, tout ceci pouvait advenir. Cette nuit était au mystère de leur rencontre et elle était prête à s’investir davantage dans cette quête de leur liaison si particulière. Ils avaient ouvert grand les portes du mystère de leur rencontre et ils voulaient courir à bout de souffle, heureux, jusqu’à franchir l’horizon infini derrière lequel, un jour, avait grandi la raison de leur amour né il y a quelques minutes et tombé sur eux comme un cadeau du ciel. Laurie et Dan comme Françoise et Pierre avaient loué une chambre pour passer la nuit au club; ils avaient donc tout le temps. Laurie et Dan étaient déjà venus plusieurs fois ici et ils en connaissaient toutes les habitudes. Laurie convainquit Pierre que Françoise était entre de bonnes mains avec Dan et que Pierre et elle pouvaient s’isoler des autres pour ne les retrouver qu’au petit déjeuner. Ils avaient une dizaine d’heures devant eux et toute liberté pour en profiter. Pierre chercha deux fauteuils de jardin et leurs coussins. Ils s’installèrent sous le vieux chêne, dans un coin baigné de lune. Côte à côte, prenant la main de son amant dans les siennes, Laurie se laissa aller aux confidences.  

Oui, c’était elle qui avait écrit : ” je suis aujourd’hui tombée amoureuse pour toujours et jusqu’après ma mort encore” ; que savait-elle de la mort ? …en connaissait-elle le chemin pour la franchir et puis revenir ? Elle se fit plus douce…  

– en t’observant, en te caressant, t’embrassant, en t’aimant, en te laissant sortir un instant hors de ton corps, j’ai vérifié que tu connais le chemin et quelqu’un me dit que je peux avoir confiance en toi….Hier j’étais tombée amoureuse, aujourd’hui je vis cet amour fou et j’ai foi en lui, je crois fermement qu’il est possible ! 

J’avais un peu plus de vingt ans quand mon père malade est mort. J’étais seule à la maison et je lui ai serré la main jusqu’à ce que son corps devienne inerte et commence à se refroidir. J’étais restée près de lui longtemps alors que mon esprit l’avait suivi loin, très loin. C’est mon père qui m’a dit de rentrer à la maison. Il est parti plus loin, chez lui, chez nous mais je n’y suis pas allé et jamais plus je n’ai eu l’occasion de repartir vers lui. Toi qui arrive si vite à sortir de ton corps pour contempler l’union de nos enveloppes charnelles, n’est-ce pas que tu as été là-bas et que ta mémoire garde la trace de ce chemin ? Ce n’est pas auprès des hommes que tu as appris à fouiller ainsi les âmes comme tu viens de violer la mienne ! Tu as été au bout de ton chemin et tu sais comment y retourner… emmènes moi un jour, rien qu’une fois chez nous ! …Avec mon père, j’ai été en état de décorporation. Comme toi, je sais ce que c’est et c’est grâce à cette expérience que j’ai senti tout à l’heure ta décorporation. Mon regard sur la vie et la mort, sur les expériences extrasensorielles est tout autre aujourd’hui, exactement comme le tien ! C’était magnifique et j’en suis aujourd’hui encore tout heureuse mais il me tarde d’assouvir ce désir lancinant de repartir là-bas pour ne plus être laissée devant la porte mais pour cette fois la franchir et emplir mon âme de cette lumière divine dont parlent tant tous les témoignages de ceux qui ont fait ce voyage de leur âme, cette passion. C’est grâce à cette expérience que j’ai compris ce qu’est le mysticisme et le chemin de la passion, de la vraie passion et non pas du chemin vers la croix du supplice. J’ai surpris dans ton regard un brin de cette lumière de l’au-delà qu’à l’époque je n’avais fait qu’apercevoir par la porte entre ouverte. Quant à mon français, mon père a été militaire puis journaliste à Paris. J’ai vécu presque vingt ans à Paris… je n’ai été aux States finalement que pour me marier et revenir avec mon mari militaire en Allemagne… venir ici quelque fois pour enfin te trouver… mon compagnon d’un autre voyage ! Tu veux bien me prendre avec toi aussi fort que tu viens de m’aimer, toi qui ne t’es pas contenté d’embrasser ma bouche, mes seins, mes fesses, mon sexe et qui a aussi eu la volonté d’embrasser mon âme ?  

La simplicité de cette confession était pureté même. Jamais il n’aurait été capable de ce discernement et de cette confiance. Après les portes de son corps, elle entrouvrait son âme ! Qu’est-ce que c’était que cette rencontre ? Elle se leva pour venir se coller à lui, elle lui mit ses mains autour du cou et naturellement il la serra, ses mains creusant les reins de son amante. Attentifs à la chaleur qu’ils échangeaient, ils ne virent pas la lune se dégager des quelques nuages qui passaient dans le ciel. Très vite, ses rayons baignèrent à nouveau la clairière. Il voulut la voir sous cette lumière et ils se levèrent. Laurie se tenait droite, grande et pour qu’elle soit encore plus grande, il se mit à genoux devant elle. Elle comprit ses pensées et en lui imposant les mains dans ce rituel sacramentel, comme elle pressentait cette nuit l’avoir déjà fait dans un temps ancien sur la tête de ce même amant, elle prononça le serment qui lui revint spontanément sur les lèvres : 

– dans la recherche de notre temps futur et de toujours, je te prends comme chevalier, guide, prêtre, amant. Pour toi, je serai princesse, prêtresse, muse, fée ainsi que tu le voudras de moi ! 

 A son tour, il se mit debout et elle à genoux 

– je te reçois comme ma princesse, ma muse, ma fée et je gagnerai pour toi notre temps futur au pays de chez nous… ainsi que tu en voudras de moi !  

Il l’aida à se relever, échangea un chaste baiser. Alors qu’ils se tenaient face à face sans trop savoir que faire, il vit quelque chose par terre briller sous un rayon de lune. Il devina qu’il s’agissait d’un tesson de bouteille, assurément d’une canette de bière qu’un hôte bien mal élevé avait cassée là. Il chercha le tesson, le nettoya sommairement, prit le bras de Laurie, y fit une légère entaille de manière à faire couler un peu de sang. Elle se laissa faire sans sursauter. Lorsque son sang apparut, elle prit le bras de Pierre pour faire de même. Il ne sentit rien. Sous la clarté de la lune qui perçait parmi les branches basses du vieux chêne, ils mêlèrent leur sang puis en présentant chacun son bras à la bouche de l’autre, ils pressèrent leurs lèvres sur l’incision pour, après avoir avalé le sang, y faire un point de compression. Bientôt le sang s’arrêta de couler.  

– américano-parisienne de mon cœur… comment fais-tu pour avoir le sang si chaud ? 

– curieux va ! Laisse-moi tranquille ! Pense à ce que nous avons fait ce soir ! …nous aurions pu ne pas le faire et combien serions nous restés pauvre, pauvre dans notre suffisante petitesse de misère d’homme ! 

– toi, Laurie, tu as lu Reich mais tu n’as jamais été un petit homme ! Tu es ma princesse, ma fée qui ensorcelle ma vie et agite mon âme ! 

Il lui avait dit cette réplique lentement, gravement. 

– idiot ! …tu es toujours aussi idiot avec ta femme ? Elle a un beau cul, tu sais, ta femme ! 

– oui, j’ai bien vu quand tu le lui as léché ! 

Elle laissa rayonner sa bonne humeur 

– j’ai bien aimé ! 

 Allongés à nouveau sur leurs fauteuils de jardin, Pierre fit le décompte de tous les points communs, les étoiles, qu’ils s’étaient découverts : Hesse, Reich, le tantrisme, le mysticisme, l’expérience de la voie qui traverse la mort, leurs corps faits pour le partage le plus complet de leurs plaisirs, la connaissance du langage des corps… leur volonté d’arriver au bout du chemin, le fait que Laurie sache si bien le français ! Ce moment de réflexion et de calme déplut à Laurie.  

– tu es marié et tu as des enfants, un boulot très prenant et tu te demandes si déjà tu n’es pas prêt à trahir le serment que nous venons de prononcer… Tu t’es laissé emporter par une passion oh certes très pure mais tu me demandes déjà de comprendre qu’à l’impossible nul n’est tenu ! C’est bien cela ? 

– non, tu n’y es pas….pourquoi faudrait-il tant et tant de temps pour avancer sur ce chemin ? Regarde, cette nuit, tout va très vite et nous sommes heureux. Demain cela peut encore aller beaucoup plus vite ! 

– je ne comprends pas la manière dont tu veux progresser si rapidement sur ce chemin. J’ai prononcé tout à l’heure le mot tantrisme et il me semble que tu le connaisses aussi. Plus que de rapidité, il impose un long apprentissage pour maîtriser toutes les énergies de l’univers qui se retrouvent dans le corps humain. Partons de ce point de départ ! Comme moi, si tu penses suivre une démarche tantrique, tu es prêt à délaisser la voie du mysticisme chrétien qui n’offre qu’un salut au fidèle à travers leur respect des principes évangéliques. Tu es prêt à préférer la voie de l’initiation individuelle qui mène à la libération suprême et à la délivrance absolue. C’est la voie que j’ai choisie. Je n’attends pas le salut de mon âme eu égard à ma conduite respectueuse des rites édictés par les hommes et qui correspondraient à la volonté divine. Je cherche à m’unir à mon âme et à partir de cette parcelle de présence divine, je cherche à me libérer pour regagner dès ma vie terrestre la source d’éternité et connaître notre demeure de vie absolue. Je me suis écartée de la voie de la Main droite, la voie de Vishnu qui cherche à libérer l’homme de ses instincts et à l’affranchir de l’animalité. Elle prône la vertu, la discipline, refuse la passion, l’ivresse, la démesure. Je me suis écartée de cette voie d’Apollon qui façonna la Grèce et qui est celle aussi de la plupart des religions et celle du mysticisme. 

– C’est également celle d’Abraham et de Moïse 

– Je me suis tournée vers la voie de la Main gauche, celle qui prône la rupture, l’arrachement de toutes les formes du samsara pour parvenir à travers le sahmadi au nirvana, c’est la voie du retour de notre âme auprès de Dieu, la libération radicale de l’esprit par rapport à toute convention et à toute contrainte. Cette voie du tantrisme représente pour moi un long apprentissage. Cette voie nous dit qu’il n’existe rien dans l’univers, aucun principe, aucune énergie qui ne se retrouve d’une certaine façon dans le corps humain et réciproquement. Connaître l’un c’est connaître l’autre. Être et connaître ne font qu’un, celui qui est le Soi est aussi le Brahmane 

Pierre fit un geste pour qu’elle arrête de réciter sa profession de foi. Laurie comprit mais elle n’en avait pas fini. Elle recadra son propos. 

– Laisse moi deviner ! Nous sommes partant pour la même voie mais toi tu es plus calme, plus passif, ton assertivité est davantage fondée sur des comportements de fuite, tu veux t’échapper de ce monde et tu souhaites prendre le premier chemin, le chemin de l’ascèse et de la solitude. C’est le chemin des shivaïtes et à la manière dont tu fais l’amour, tu pourrais être un shivaïte tantrique quoique j’aie du mal à t’imaginer dans des situations extrêmes. Tu peux croire alors que mon chemin est le second, le plus destructeur mais remarques, moi je n’ai pas encore effleuré ton âme ! Tu penses que j’aime recourir à l’alcool, à la drogue, aux actes moralement condamnables et surtout à l’érotisme pour atteindre la délivrance. Oui, je serais une shivaïte tantrique et pour être encore plus précise et cela correspond au peu que je connais de toi, tu serais toi le mâle : Shiva, la conscience calme, immuable et infinie, le dieu tutélaire de tous les moines et ascètes, la passivité active et je serais Shakti, le principe femelle, l’énergie du mouvement, la substance universelle, la nature complémentaire de l’esprit, l’activité passive. Ensemble Shiva et Shakti ne font qu’un comme nous, nous pouvons dès cette nuit ne plus faire qu’un ! 

– pour Shiva, tu as raison, je suis plutôt du style solitaire, moine ou si tu veux, loup solitaire, loup des steppes. Quant au couple Shiva-Shakti qui sont inséparables et ne font qu’un, cela me rappelle le pharaon. Pharaon est aussi avant tout un couple sacré qui unit deux principes opposés : le masculin et le féminin dans une recherche d’une même androgénéité originelle et surnaturelle. Nos sources culturelles ne représentent aucun obstacle pour une compréhension commune de cette connaissance. 

– tu vois, je ne me trompe pas sur toi. Mon but, c’est que tu repartes avec moi sur le chemin de notre éternité. Tu y as été, tu en es revenu sain et sauf et tu dois maintenant repartir avec quelqu’un d’autre. C’est ta mission et tu ne pourras pas y échapper même si tu ressens encore l’illumination comme une blessure. Nos routes viennent de se croiser et j’ai déjà fait serment de t’aider. Je connais parfaitement cette peur de revenir à la vie humaine pour parler et enseigner après le contact de la mort et de ce qui se passe lorsque notre âme s’apprête à quitter son enveloppe charnelle lorsque celle-ci est victime d’un accident, d’une blessure, d’une agression mortelle. J’ai déjà aidé des hommes à reprendre le chemin après de tels moments. Tu seras mon yogin car tu as un pouvoir surnaturel et je serai ta shakti, cette puissance féminine qui inspire le yogin dans son ascèse, qui attaque ses démons à lui et s’en nourrit afin qu’il poursuive le chemin en étant de plus en plus libéré ! 

– m’oui ! La femme est l’avenir de l’homme ! 

– tu aimes la poésie ? N’aies pas peur de me répondre, la poésie n’est pas un obstacle sur ce chemin mais rien ne vaut une bonne pratique du yoga, un réveil de la kundalini et un travail sur les chakra.

La danse de Shiva

Pierre refit un geste cette fois plus vif pour tenter d’arrêter le discours de son interlocutrice. Laurie condescendit à stopper ses paroles. Elle regarda la grande table ronde sous le vieux chêne et y grimpa. Elle prit la position du lotus, médita un moment puis elle entra en mouvement.  

Il pénétra dans la fascination de cette danse sur ombres chinoises. Sa culture lui fit admettre qu’il voyait une danse de Shiva. Laurie passait de séquences lascives à des transes effrayantes. L’énergie qui animait la danse ne cessait de mouvoir des formes toujours nouvelles dans une véritable ivresse extatique. Laurie dépensait une énergie si incroyable que Pierre convint qu’elle lui démontrait tout le bénéfice d’une longue pratique de ces disciplines spirituelles. Ce corps, il lui semblait maintenant l’avoir caressé, embrassé, léché, pénétré dans un temps fort reculé. La magie de la danse, la provocation, le trouble éternel provoqué par la féminité aussi ouvertement dénudée ouvraient grand son esprit. La synchronisation des gestes de Laurie avec les idées, l’émotion qui naissaient dans l’esprit de Pierre, engendrait une influence bienfaisante source d’une confiance totale entre le poète et sa nouvelle muse. Pierre se laissa emporter vers les dimensions supérieures à la recherche du principe moteur de cette énergie et de cette grâce exceptionnelles. Laurie ne faisait plus attention à lui, elle semblait être partie loin. Dans un rythme régulier, elle se mit à frapper violemment la table de ses bras. Elle ne ressentait plus aucune douleur et frappait de plus en plus fort comme pour rendre davantage assourdissant le bruit de ses bras frappant le bois. Elle se penchait en avant pour allonger les bras puis jetait son buste en arrière. Pierre devenait inquiet. Il comprenait parfaitement ce que Laurie faisait. A une grâce toute féminine, elle ajoutait l’expression d’une force masculine et guerrière, la danse devint alors l’expression d’un équilibre inédit, fabuleux entre le masculin et le féminin mais jusqu’où voulait-elle aller ? Elle avait dépassé le stade de la douleur et si son corps pouvait pour des yeux profanes, s’abrutir de violence, son esprit s’était effacé devant les retrouvailles de son âme avec son continuum d’espace-temps tout pétri d’immortalité. Il lui avait parlé lorsque faisant l’amour, il avait été au-dessus d’elle en état momentané de décorporation ; irait-elle également maintenant jusqu’à se décorporer une fois finie la transe et retombé inerte son corps ? Devait-il la rejoindre ? Mais que faisait-elle ?  

Subitement, Laurie arrêta sa danse exacerbée. Elle tendit son bras pour inviter Pierre à la rejoindre sur la grande table ronde. Il s’exécuta. Elle plia les genoux de son amant de manière à pouvoir venir s’asseoir sur ses cuisses. Pierre frémit en percevant la chaleur intense du corps de Laurie. Il chercha sur elle quelques gouttes de sueur et leur fraîcheur moite mais sa peau n’en trouva aucune. Il l’entoura alors de ses bras pour la tenir toutes contre lui et s’imprégner plus encore de ce feu somme tout bienfaisant. Ces moments étaient bons, simplement et humainement bons, loin de tous tabous. Pierre se demanda qui pouvait ne pas apprécier de tels instants, une telle danse, une chaleur humaine si forte et captivante. Laurie avait bien raison : à force d’endurer les sarcasmes ou le dédain de ses voisins, il s’était isolé pour devenir bel et bien une sorte de loup des steppes. Il ne pouvait pas se mentir ; il avait aimé le livre d’Hermann Hesse quoique….il ait imaginé quelque chose de pire encore pour Harry. 

Croyait-elle véritablement que la rencontre d’une Hermine et d’une Maria puisse faire sortir le loup de sa tanière pour l’éduquer au fox-trot ou au boston ? Apparemment Laurie lui présentait un tout autre programme certainement interdit dans les salons mondains. Pierre jusqu’ici avait admis le sort des poètes maudits, des prophètes martyrisés et tués. Il croyait au sacrifice expiatoire, à l’abandon du corps comme prix de la délivrance de l’âme mais pas à la rémission de la vie charnelle et voilà que Laurie se mettait à rire sous son nez !  

– j’ai toujours rêvé d’apprivoiser un homme comme toi en dansant ainsi devant lui… Parce que tu as atteint un degré suprême dans l’initiation et comme le prescrit aussi la tradition des mystères grecques pour ceux qui ont atteint ce degré d’initiation[1], tu as droit à voir l’image de la femme entièrement nue et dans ma danse j’ai pris soin de te montrer toutes les courbes, toutes les formes que peuvent prendre les parties de mon corps même les plus intimes. Jamais Dan ne m’a vue danser ainsi avec tant de provocation ! Dans mon travail, je n’ai pas le droit de le faire alors profites-en ! Tu aimes vraiment ou tu te méfies de tout cela ? Réfléchis, c’est une question importante !

Le yogin et sa shakti

– Laurie… tu penses m’apprivoiser en me provocant et tu as faux ! Je t’aime et je ne me méfie pas de ce qui vient de toi. Je sais comme toi que nous pouvons développer de nouveaux pouvoirs de conscience et comme toi j’ai appris à me méfier de ces pouvoirs supra-normaux qui peuvent perturber le rapport avec notre âme. Mais permets que je te cite Paul Eluard : ” je ne m’aime pas, j’aime mes amours, je ne les impose pas mais je les défends “. Cet amour, je suis capable de le défendre même contre toi si tu n’en voulais pas car plus que de toi, j’ai besoin de cette source d’amour dans laquelle nous ne faisons plus qu’un et ce depuis l’éternité ! Méfies-toi des pouvoirs supra-normaux mais laisse voyager ton âme au-delà du stade de la décorporation et trouve la source divine de l’amour ! Défends tes amours comme le poète ! 

– Oh mon loup ! Mais tu es un poète ? 

– je suis ton yogin et tu dois me débarrasser de mes démons, me tenter avec les poses les plus lascives de ton corps et l’érotisme le plus torride au point de me rendre parfaitement heureux et libre d’aimer comme jamais on ne peut aimer ! J’aimerais devenir plutôt cela que de rester un poète illustre inconnu parmi tous les gens qui n’ont rien à dire ou n’osent pas parler ! 

– Sais-tu qu’une shakti a aussi le pouvoir de détruire, le pouvoir d’illuminer le yogin en le soumettant à d’horribles souffrances, le pouvoir de le sauver en feignant de le perdre ? Mais rassure-toi ! Il y a deux raisons pour que je ne te fasse aucun mal. Écoute-moi, c’est très sérieux ! 

Tout d’abord il y a une raison doctrinale. Le tantrisme n’a pas l’intention sérieuse de renverser l’ordre établi. Sa perspective n’est ni politique, ni sociale mais initiatique, individuelle. Il ne prend pas en compte les castes sociales et il est très proche d’un anarchisme spirituel. Il est optimiste car chacun par son énergie individuelle et quelle que soit sa position sociale, peut parvenir à la libération suprême. Certes, il est aussi pessimiste car il n’envisage pas l’humanité dans un sens de progrès mais de régression. Il s’adresse à un homme déchu, à l’homme moderne empoisonné. Notre époque est tantrique dans le sens négatif et dangereux où elle a réveillé une énergie qu’elle est de moins en moins capable de maîtriser, l’énergie des fascismes et l’énergie nucléaire. Alors comme le veut la doctrine, je devrais te servir comme potion tous ces malheurs du monde pour qu’en tant que yogin shivaïte tantrique je t’aide à transformer ce poison en remède. Tu vois, les malheurs que je t’apporterai ne serviront qu’à cela : à devenir des remèdes ! 

– Comme chez Baudelaire où l’alchimiste du verbe transforme de la boue en or ! Comme aussi dans l’église chrétienne où les péchés doivent être expiés et présentés au Christ pour qu’il les transforme en raison de salut pour notre âme….ce qui représente cependant une spoliation de la capacité tantrique pour l’homme, une confiscation de celle-ci au profit du clergé sous couvert de la seule divination de cette capacité ! Et cette divination sert encore d’excuse aux membres du clergé devant leur incapacité à transformer eux-mêmes ces malheurs en remèdes, eux les serviteurs de Dieu qui ne peuvent que lui présenter nos péchés et nos malheurs dans leurs prières d’intercession auprès de lui ! Quel appauvrissement spirituel pour conforter cette prétention des adeptes de la puissance temporelle et spirituelle de la papauté ! Il y a bien là présence de la loi du monopole qui pour s’enrichir, appauvrit son environnement ! Et toi tu serais incapable de me faire du mal ? 

– Oui ! Je suis encore incapable de te faire du mal car dans ma vie professionnelle, je côtoie trop de malheur pour en vouloir encore à quelqu’un ! Je crois que tu dois prendre ici un peu connaissance de ma vie !

Laurie était prête pour repartir dans sa jeunesse.

 D’une voix douce, calme, mesurée, elle se raconta avec davantage de détails à son amant. 

Née à Paris, elle y avait passé sa jeunesse et son adolescence.

 Elle avait débuté sa scolarité à l’école Notre-Dame des Oiseaux d’Auteuil, quartier où ses parents habitaient puis son père avait tenu qu’elle suive les cours à l’école alsacienne. Enfin elle avait traversé le jardin du Luxembourg pour faire des études de psychologie à la Sorbonne.

Son père avait été militaire puis journaliste. Membre d’un commando OSS durant la guerre, il avait servi durant la campagne de France à l’état-major du général Bradley. Sur sa demande, il avait gardé des liens étroits avec les forces françaises issues de la résistance et fondues dans la Première Armée française. Il avait demandé à se battre en Alsace durant l’hiver 1944-1945 à côté d’anciens camarades de maquis et il avait été un des premiers officiers alliés à visiter le camp d’extermination nazi du Struthof. Longtemps conseiller militaire à l’ambassade américaine à Paris, il n’avait pas voulu quitter Paris lors de la sortie de la France de l’OTAN pour rejoindre Heidelberg où un poste l’attendait. Il écrivit pour des journaux et c’est à ce moment qu’il avait pris femme en la personne d’une jeune fille d’une famille amie depuis longtemps de la sienne à Philadelphie. Un an avant de mourir, il était parti s’installer à Philadelphie et Laurie qui venait d’achever ses études, avait suivi ses parents. 

 Laurie devient « surogate »

A Philadelphie, un ami de son père, psychologue vieillissant, lui avait proposé un peu par boutade de mettre en pratique leurs connaissances psychologiques à l’aide de sa jeunesse et de ses charmes féminins indéniables… tout ceci au cours de thérapies secrètes à la magie sensuelle et pour le bien des malades. Les liens avec ce vieil ami s’étaient vite transformés en complicité clandestine. Ce vieil homme éclairé avait compris certaines choses de l’existence humaine et il cherchait une complice pour mettre en pratique ses leçons de vie. 

Par défi, elle avait accepté de devenir une “surogate”. Elle était devenue la partenaire d’hommes qui devaient faire des exercices pratiques pour vaincre des inhibitions, des obsessions ou des problèmes sexuels : éjaculation précoce, pédophilie, pulsions sexuelles anormales, etc… Cela faisait quelques mois qu’elle exerce cette activité qui lui permettait de vivre tout en continuant de vagues études supérieures avant qu’elle ne rencontre Dan. 

Elle avoua à Pierre qu’elle avait appris à aimer ces moments intimes où la vérité des êtres se recherche plus intensément et qu’elle aimait sentir le pouvoir qui était capable de s’exprimer de son corps, de sa nudité, de son entière féminité. Cette expérience lui avait permis ce soir d’aller sans crainte à la rencontre de Pierre et de lire posément à travers les profonds regards de son amant. Elle lui redit que sans cette expérience préalable, comme bien d’autres femmes, elle aurait été choquée d’un tel contact et outrée d’une telle intromission dans les recoins les plus secrets de son âme. 

 Laurie et Dan

Dan était venu consulter le psychologue à la suite d’un accident au champ de tir. 

Il venait de sortir de West Point et dirigeait la formation de recrues. Lors de l’entraînement au lancer de grenades, les soldats devaient jeter l’explosif derrière un mur dans une fosse. Une détonation ne s’était pas produite après un lancer et en tant qu’officier, c’était à Dan muni d’une baïonnette au bout d’un long bâton de marcher sur le mur à la recherche de cette grenade pour la faire exploser à l’aide d’une nouvelle.

Ce jour là, un sergent voulut se charger de l’opération et Dan le laissa faire. A peine avait-il commencé la recherche que la grenade explosa l’entraînant dans la fosse et le tuant. 

Dan se sentit coupable pour avoir laissé faire un sous-officier aussi inexpérimenté. Cela le marqua profondément surtout qu’il ne s’était pas complètement remis du stress emmagasiné au cours de ses études pour sortir parmi les premiers de sa promotion. Très vite, il perdit toute motivation. Il ressentait cette mort comme une tâche sur un uniforme qui devait un jour briller sous les plus hautes responsabilités militaires. Cette attitude commençait à compromettre sa carrière lorsqu’on lui conseilla d’aller rencontrer un psychologue.

Il choisit l’ami du père de Laurie car ce psychologue était connu pour s’être occupé d’anciens militaires. Le psychologue à bout d’expédients, se risqua à lui proposer une séance de relaxation avec Laurie. Elle l’attendit dans la chambre du motel habituel, toute nue comme de coutume, lui ouvrit la porte et se suspendant à son coup, elle entraîna le bel officier jusqu’au lit. Elle eut juste le temps de lui dire qu’ici, c’était elle qui commandait, que Dan s’avoua vaincu et il lui fit l’amour de toutes ses forces, en se livrant totalement sans plus aucune honte de lui. 

Laurie, en riant, attestait qu’en quelques minutes Dan avait chassé ses idées noires et s’était découvert la femme de sa vie. En rougissant cette fois-ci, Laurie avoua qu’il avait pour elle suffi de croiser une seule fois, une seconde, le regard de Dan sous sa casquette d’officier pour qu’elle en tomba amoureuse. En riant, elle expliqua qu’après le départ de Dan, elle s’était demandée si elle ne lui avait pas déchiré son uniforme car elle ne savait pas comment il s’était retrouvé nu aussi vite. 

Il était revenu une seconde fois pour poursuivre le traitement et cette fois là, il l’avait fait se rhabiller pour aller passer l’après-midi sur une terrasse d’un café en bord de mer. Il avait parlé de son idéal de jeune officier américain et en bonne psychologue diplômée de la Sorbonne, elle lui avait cité Pavese : 

” il n’y a rien de plus traumatisant que de ne pas avoir atteint son idéal, si ce n’est de l’avoir réalisé “.

Pavese

Dan avait convenu assez vite avec elle qu’avoir un idéal, c’est une façon de rêver et que le rêve est maya.

Elle lui avait parlé de son chemin spirituel éclairé selon les enseignements orientaux et elle lui avait aussi raconté ce qu’elle avait perçu de l’idéal militaire de son père. Cette discussion au bord de l’atlantique leur avait beaucoup plu et Laurie avoua à Pierre qu’elle avait, cette fin d’après-midi là, aimé escalader derrière le bel officier les rochers de la côte jusqu’à une petite plage déserte où elle s’était laissée déshabiller et aimer comme jamais cela n’avait été le cas auparavant. 

Il avait accepté qu’elle continuât son activité pour soigner des personnes dans le besoin tant il était convaincu des pouvoirs salvateurs d’une surogate. En Europe, lorsqu’elle avait suivi son officier, bien entendu, Laurie n’avait pas repris cette activité, ce qu’elle regrettait car elle estimait pouvoir ainsi mieux soigner ses malades qu’en leur donnant des médicaments. Elle s’était intéressée aux mœurs des allemands et avait trouvé l’adresse de ce club. Les soirées ici chez Amadeus et Regina lui avaient de suite beaucoup plu et aujourd’hui, elle était heureuse d’avoir fait la connaissance de Pierre. Elle poursuivit tout aussi sereine : 

 Laurie soigne les soldats traumatisés par la guerre.

– je travaille dans un hôpital militaire près d’ici, du côté de Pirmasens où nous habitons. Je m’occupe surtout des traumatismes psychiques qui suivent les chocs nerveux dus à la violence, à la douleur provoquée par des tortures, des scènes de massacre. Les premières thérapies pour faire se raconter les malades n’ont rien donné de positif et nous leur faisons suivre des traitements plus lourds. Je suis aussi en liaison avec des neurologues qui font les électroencéphalogrammes ou parfois les trépanations. 

Chez certains, le choc a été trop violent et le malade est irrécupérable, il part pour l’asile des fous. L’armée américaine fait soigner par ici pas mal de monde avant de les faire revenir dans leur famille aux States. Ils sont déposés à Ramstein ou directement à Francfort. Parfois je suis appelée pour des consultations à Wiesbaden… ici, nous sommes au calme, je peux mieux travailler avec mes malades mais je n’ai pas le droit d’utiliser certaines pratiques. 

Je ne peux pas travailler avec eux comme une surogate ou leur faire des danses de Shiva ! Actuellement je collabore à un groupe de travail international qui tente de soigner les victimes du drame de l’ex-Yougoslavie, nous en recevons un certain nombre ici en Allemagne et avec Dan, durant ses permissions, nous sommes allés trois fois à Zagreb et je dois y retourner plus souvent dans les mois à venir. 

J’ignore si cette démarche relève de l’idéal humanitaire et donc pour une large part, du rêve ou bien si un traitement médical est possible pour atténuer dans ces milliers d’esprits, les horreurs vécues. Tous les jours, je côtoie les atrocités commises par les criminels et les terroristes alors, tu comprends, je ne vais pas encore revivre tout cela avec toi. 

Je veux connaître la lumière, la vie !

Ensemble je veux connaître la lumière, la vie, le bonheur de trouver notre éternité. Je ne peux pas demander ceci à Dan ou à d’autres amis car ils n’ont pas encore été au bout de leur chemin. Par contre j’ai déjà accompagné mon père et quelques malades sur la route qui part de cette existence terrestre et maintenant j’ai envie d’y aller et d’y aller tout de suite du moment que je t’ai trouvé car je crains de ne plus pouvoir supporter toutes ces cruautés.

Tu vois, Pierre, je travaille dans la misère des hommes et je ne peux pas y changer grand chose, c’est très loin du tantrisme ! 

– Tu transformes quelques malheurs en guérison, ce n’est pas aussi loin que tu dis. 

– Tu crois que j’en guéris beaucoup avec les méthodes imposées ? 

– Est-ce que Dan pratique avec toi ces disciplines orientales ? 

– nous faisons souvent de la sophrologie ensemble, tu en as déjà fait ? 

– non, jamais. J’en ai entendu parler. De ce côté là, je suis un vrai ignorant mais j’ai envie d’apprendre ! 

– eh bien ! Faisons une descente sophronique… C’est la première fois que Françoise et toi venez ici, n’est-ce pas ? Nous, c’est la sixième ou septième fois depuis un an que nous sommes en RFA. A cette heure-ci, vers 1 heure du matin, la plupart des couples se reposent avant de s’en aller. Ils sont au restaurant. Bientôt ne resteront plus que les couples qui dorment ici et quelques-autres particulièrement excités.

Entre 1 heure et deux heures du matin, tu vas voir aussi bon nombre d’hommes seuls investir les chambres. Leurs femmes, fatiguées et déjà repues de sexe, discutent entre elles au salon ou au restaurant et autorisent leurs mâles à courir auprès des quelques femmes encore en action. Ces dernières ont généralement attendu ces heures tardives pour enfin entrer dans la danse. Elles savent qu’elles vont avoir à leur disposition tous ces hommes seuls et qu’elles ne seront plus que quelques-unes unes par chambre. Parmi cette assistance réduite, elles pourront d’autant plus laisser libre court à leur sexualité débridée. Crois-moi, ce sont les heures les plus chaudes du club. 

Je n’ai découvert cette pratique que depuis nos deux dernières soirées passées ici. C’est après la première expérience de ces heures particulières que j’ai écrit dans le registre des invités les lignes que tu as lues… C’est magique, toutes ces mains qui vous caressent, ces sexes qui vous touchent, te pénètrent partout où ils peuvent. En général, deux femmes se couchent l’une à côté de l’autre et elles s’excitent mutuellement dans une sorte de concours où gagne celle qui aura été le plus loin dans son plaisir et aura donné du plaisir au plus grand nombre d’hommes et de femmes. 

Tu vois, Pierre, nous n’avons pas perdu notre temps ensemble et une bonne descente sophronique nous mettra définitivement d’aplomb pour tout à l’heure exploser parmi tous ces plaisirs charnels… Quoi ? Tu boudes déjà la première offrande de ta shakti ? …Laisse-toi aller un peu sur mon chemin à moi ! Tu resteras près de moi et je veux te voir baiser toutes les femmes présentes dans la chambre où nous serons ! Nous prendrons pas mal de préservatif dans la boîte à l’étage devant les chambres et je te les poserai moi-même avec ma bouche… si, tu verras, je suis certaine que toi, tu ne sais pas les mettre ! 

Tu vois, mon loup, je suis plus directe et rapide qu’Hermine et Maria réunies mais c’est normal ! … je suis ta shakti, ta déesse de l’amour et toutes les peines que tu mettras à faire l’amour à toutes ces femmes deviendront un de tes meilleurs remèdes de vie… si….si ! 

 L’exercice de sophrologie

Laurie s’écarta de Pierre mais ils restèrent assis en tailleur sur la grande table ronde. Laurie prit une voix posée et mesurée pour inviter Pierre à la suivre dans une descente sophronique. 

Françoise et Dan avaient perçu le ralentissement du rythme de la soirée et délaissant les deux autres couples, ils s’étaient mis à la recherche de leurs conjoints respectifs. Françoise se plaisait en compagnie de Dan et elle s’efforçait de dialoguer avec lui en parlant anglais. Il l’avait massée sensuellement après la douche ce dont elle raffolait et elle avait accepté de le suivre dans la chambre obscure aux masques diaboliques pour de nouveaux moments d’intimité troublante. 

La disparition momentanée de Pierre l’inquiétait toutefois. Elle savait qu’il n’avait pas l’habitude de faire les premiers pas en ce genre de circonstances; était-il sous la coupe de cette Laurie et qu’en avait-elle fait ? Après un bon quart d’heure de recherche dans la maison et autour de la piscine, Dan eut l’idée de les chercher à la lisière de la forêt sous le grand chêne. Il fit signe à Françoise de s’approcher en silence. Ils restèrent dans l’obscurité pour écouter ce que disait Laurie. Au bout de quelques minutes Dan expliqua à Françoise que Laurie et Pierre faisaient des exercices de sophrologie. Il sortit de l’obscurité pour se montrer à son épouse et celle-ci abrégea l’exercice pour revenir en état de perception normale. 

La chambre bleue

Dan vint prendre par la taille sa femme et Françoise interrogea d’un air soupçonneux son mari sur ce qu’il avait fait. Laurie vint à la rescousse de Pierre pour, admirative, raconter à Françoise et à Dan leur discussion sur les sages orientaux. Pierre félicita Laurie et Dan pour leur engagement dans la cause humanitaire et leur action en faveur des victimes du conflit de l’ex-Yougoslavie. Françoise, étonnée, avoua qu’avec Dan, ils n’avaient pas cherché à se connaître davantage. Laurie, taquine, sauta sur l’occasion pour la pousser à raconter qu’elle s’était laissée aller à refaire l’amour avec Dan. Elle poussa son intervention jusqu’à prédire que Dan l’avait prise en levrette dans la chambre noire. Françoise, un peu confuse, répondit affirmativement. Laurie prit un ton professoral pour lui expliquer qu’avant une heure du matin, il n’y avait que dans cette chambre noire où les couples prenaient des positions voyantes. Par contre, maintenant, ils pouvaient tous quatre aller dans la chambre bleue ou dans celle au hamac et faire ce qu’il leur plairait. 

Françoise exprima sa satiété et son début de fatigue. En entraînant Pierre et Dan par la main, Laurie se mit à rire. Françoise fit appel à son amour propre pour les suivre. Dans la chambre bleue, trois jeunes couples s’aimaient ; les filles chevauchaient les unes à côté des autres leurs hommes. Elles montraient leurs dos à ceux qui entraient dans la pièce comme aux hommes seuls qui regardaient derrière les vitres de la porte battante. Comme ces couples étaient au fond de la pièce, Dan, Pierre, Laurie et Françoise se couchèrent le long du mur, perpendiculairement aux trois couples. 

Ils respectèrent l’intimité des premiers occupants de la pièce et en les regardant, ils attendirent qu’ils prissent leur plaisir. Françoise était couchée à côté de Laurie. Lorsque la fille du milieu se jeta en arrière pour observer ses deux copines et de sa main, alla caresser au vu de tous, les fesses des deux autres ainsi que les sexes sur lesquels elles s’activaient, Laurie se tourna vers sa compagne pour l’embrasser délicatement et partager le trouble agréable qui l’avait saisie devant ce spectacle secret. Puis elle donna le signal du départ et tirant son mari vers elle au milieu de la pièce, elle se plaça la tête face à Françoise pour être prise en levrette par son homme. Les trois autres couples changèrent de position. Les filles se placèrent comme Laurie en arc de cercle. L’une d’elles tira sur les jambes de Françoise jusqu’à placer son sexe à hauteur de leurs bouches. Elle leur ouvrit grand ses cuisses. 

Un jeune homme fit signe à Pierre de prendre sa place devant les fesses offertes, il lui donna un préservatif puis il vint s’agenouiller devant le visage de Françoise après avoir protégé son sexe lui aussi d’un préservatif. La fête dura plus d’une heure ; à chaque fois Laurie demandait une gradation dans les postures, les ébats amoureux. Elle s’empressa à plusieurs reprises de guider un pénis dans le sexe de son amie puis, de ses doigts, elle lui ouvrit le cul pour qu’elle se fasse prendre ainsi par les hommes présents. 

Alors que les trois couples de jeunes s’en étaient repartis épuisés, Laurie tint à ce que Dan et Pierre se mettent debout devant elles. Il n’y avait plus personne ni dans la pièce, ni derrière la porte d’entrée. Elles les sucèrent tour à tour jusqu’à les faire éjaculer une dernière fois sur leurs visages, dans leurs bouches puis satisfaites, dans un dernier baiser, elles se partagèrent ce cadeau magnifique en gage d’une amitié profonde qui n’avait plus besoin d’une protection quelconque contre un manque cruel de confiance. Rompus de fatigue, tous quatre allèrent se coucher en se donnant rendez-vous au petit déjeuner. Laurie tira Pierre par le bras jusqu’à son lit et Dan prit Françoise par la taille pour la conduire dans sa chambre. Pierre la vit disparaître au bout du couloir. Dan, tout en marchant, d’une main lui massait les fesses. 

Le prochain rendez-vous

” Nous reviendrons vendredi dans quinze jours, j’espère que nous nous reverrons “. Au moment du départ, Laurie avait dit cela sans inquiétude, d’un air presque détaché. Pierre ne répondit pas, il la regarda monter dans la voiture. 

Jour après jour Françoise et Pierre s’étaient confiés les sentiments qui ce soir là s’étaient manifestés. Françoise comprit et admit tout ce que Pierre lui disait au sujet de Laurie mais dans un premier temps, elle ne voulut pas revenir à cette date chez Amadeus et Regina. C’était trop tôt pour elle. Elle n’aurait pas fini de digérer, de complètement assimiler tous ces moments là. Jouisseuse, elle faisait durer le temps de la maturation des souvenirs dans son esprit. 

Lorsque Pierre comprit cela, il lui fit un rapide cours sur l’appréhension du temps, lui brossa un exposé comparatif sur la manière de mesurer l’espace et le temps et en bonne intellectuelle, ancienne de Sciences Po, ayant découvert un soupçon de bon sens voire de logique dans les propos fulgurants de son poète de mari, elle accepta de revenir le vendredi convenu. 

[1] epopteia

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