Partie 4 – L’art de vivre

La première rencontre et décorporation

du jeune poète

Extraits D’Éleusis à Dendérah, l’évolution interdite, Première partie, Pierre et Laurie sont à Paris pour accompagner les derniers jours de Maud. Pierre raconte sa première décorporation à Laurie.

Laurie interroge Pierre sur sa jeunesse de poète

Le lendemain matin, après que Marie fut montée leur apporter le petit déjeuner, excuse qu’elle s’était trouvée pour discuter avec cette Laurie qu’elle considérait un peu comme sa fille mais avec laquelle elle pouvait se permettre des liberté d’échanges qu’elle ne se serait pas permise avec sa propre fille, Laurie commença son véritable travail d’enquête sur Pierre.

Elle installa son bureau de lycéenne et d’étudiante en face du lit et Pierre, couché sur le lit, dut répondre à toutes ses questions.

Comment Pierre s’était-il découvert poète durant sa jeunesse ?

Laurie nota que son patient dès l’âge de 4-5 ans avait eu des insomnies qui ne tardèrent pas à dégénérer en somnambulisme. Pierre expliqua qu’en fait, la nuit dans son sommeil, il était réveillé par des présences qui cherchaient à investir son esprit. Ces présences n’étaient pas pacifistes.

Aujourd’hui, Pierre penchait pour dire qu’il s’agissait d’esprits qui n’avaient pas trouvé le repos éternel et qui savaient déjà qu’il était capable d’entrer en contact avec son âme et avec la présence divine qui vit en lui. Pour être tout à fait complet et ne rien cacher à sa psy, le poète mentionna les observations très fréquentes en France d’ovni autour des années 1954. Des rapports concordants mais secrets existent sur ce point. Était-ce lié à cet environnement extra terrestre ? Une de ces présences extra terrestre s’intéressait-elle plus particulièrement à lui ?

Laurie coupa court aux propos du poète pour lui signifier de redevenir sérieux mais elle admit que tout ceci était discutable. Il n’empêche : son esprit était réveillé la nuit par des présences insolites qui agitaient son cerveau. Pierre, fatigué par ces nuits d’insomnie, ne cessait de prier son ange gardien avant de s’endormir. Une image sainte montrant un ange gardien protégeant un enfant au bord d’un précipice se trouvait d’ailleurs au dessus de son petit lit.

A partir de ce moment là, il ne se réveilla plus la nuit mais le matin, ses parents et lui devaient constater qu’il se trouvait couché à même le sol dans un autre endroit de la chambre. Par contre, il ne se souvenait plus de rien et n’était plus fatigué par une nuit agitée.

A la longue, Pierre se trouva vexé d’ignorer maintenant ce qui se passait la nuit dans son esprit. Il avait comprit que l’ange gardien n’y était pas pour rien mais cela ne pouvait pas continuer ainsi ! Il fallait que Pierre prenne lui même son destin en main et fasse lui-même le ménage dans sa tête.

Au même moment, ses parents l’envoyèrent consulter un médecin spécialiste à Strasbourg et devant les interrogations de ce vieux sage, Pierre se souvenait encore aujourd’hui, il avait regardé avec pitié ce médecin qui était complètement à côté du sujet et bien incapable de comprendre cette lutte entre les esprits que lui, petit garçon, connaissait de mieux en mieux ! Bon, il avait bu des litres et des litres d’Atarax prescrit par ce médecin mais ce sirop n’avait servi à rien !

Visualisation des présences autour du jeune poète

Avant de s’endormir, Pierre dialoguait maintenant avec les esprits mauvais ainsi qu’avec son ange gardien et il parvint à les visualiser tous.

Ces esprits tourmentés se trouvaient être parmi les dernières victimes de la seconde guerre mondiale à ne pas avoir trouvé les chemins du ciel et de leur éternité. C’étaient des pauvres victimes totalement abandonnées mais qui, parce qu’elles avaient été en relation avec la région où il habitait, cherchaient une aide parmi les vivants de cette région.

Pierre sut alors qu’il devait prier son ange gardien afin que ce dernier les aide. Ce qu’il fit et Pierre fut délivrer de son somnambulisme.

Il avait environ 7 ans et lorsque peu de temps après, il fit sa première communion, il se prit à sourire devant le curé de son village qui bienveillant, lui certifiait que maintenant il venait de rentrer dans l’église de Dieu. Ce brave curé fut incapable de comprendre tout le retard de ses paroles par rapport à l’expérience déjà accumulée du jeune poète sur les questions spirituelles et surnaturelles !

Si Laurie voulait des preuves tangibles, elle pouvait chercher dans les archives de la Sécurité Sociale toutes les prescriptions d’Atarax qu’il avait eu durant son enfance… Il avoua à la psychologue que c’est de cette époque qu’est né son goût prononcé pour l’histoire et la géographie car de suite, il chercha à connaître les événements et les lieux qui avaient rendus si misérables les esprits qu’il venait de rencontrer et d’aider. 

L’écriture du premier poème

Mais une fois guéri, comment Pierre vers 11 ans se mit-il à écrire son premier poème ?

Et d’ailleurs, ce poème indiqué comme le premier de l’auteur dans le premier recueil publié à Paris, est-il bien le premier ? Laurie, de mémoire, l’analysa.

Certes, devant ce désir de refuser le cadre laborieux de cette vie pour lui préférer une autre vie connue antérieurement, vie antérieure qui peut être une existence avant la naissance dont l’auteur aurait toujours conscience mais aussi tout simplement vie antérieure qui peut être l’enfance heureuse qu’il vient de vivre dans son village et qu’il doit abandonner pour poursuivre des études et se préparer à travailler, Laurie vit bien sourdre une interrogation fondamentale sur les raisons de vivre. Elle en convint.

Dans ce poème, il y a déjà ce malaise de l’enfant poète qui refusera tout au long de la plupart de ses textes d’enfance, de capituler devant les exigences sociales pour leur préférer un autre monde, un autre espoir, une autre réalité apparemment seule perceptible par un poète.

Mais comment avait-il écrit ce poème et pourquoi ne pas l’avoir placé en premier dans son recueil ?

Pierre raconta que le soir, à l’étude, lors de sa première année d’internat dans une institution religieuse, il se mit à tenir un journal, justement pour sonder un peu plus ce malaise entre une enfance enfin pacifiée et heureuse maintenant qu’il avait réglé le sort de ces esprits tourmentés et toutes les perspectives problématiques que la société adulte lui présentait.

Ces heures d’études le soir, dans la chaleur humaine de la centaine de garçons, toute classe confondue de la huitième à la troisième, réunis dans la même grande salle, permirent à Pierre de reprendre un travail sur lui-même comme cela avait été le cas, quatre-cinq ans plus tôt, lorsque dans son lit, avant de s’endormir, il dialoguait avec les esprits et son ange gardien. Mais cette fois, le travail se fit par écrit. 

Un soir, il fut surpris de sentir en lui comme un gros et puissant volume d’idées venir envahir son esprit. Lorsqu’il donna toute la place dans son esprit à cette imposante présence, il sentit naître en lui le rythme qui pulsait cette présence et sur ce rythme, il écrivit d’un seul jet les vers de ce premier poème.

Il comprit que ce texte n’exprimait que faiblement ce qu’il avait ressenti dans son esprit. Toute cette présence imposante ne pouvait pas venir que pour un si faible message. Alors le jeune poète poursuivit son travail pour retrouver le rythme et la musicalité de cette présence. Il y eut d’autres poèmes jusqu’au soir, toujours dans cette étude, où subitement Pierre sentit qu’il venait de trouver une musicalité plus puissante et à travers elle, pour la première fois, l’esprit source de cette musicalité.

Principes poétiques.

Alors le jeune poète écrivit vingt vers d’une seule traite et sans ratures comme toujours mais lorsqu’il se mit vers les dix-huitième vers et jusqu’au vingtième vers, à vouloir décrire cet esprit, Pierre se rendit compte d’une part que son esprit était quasiment vidé de toute énergie après cette écriture et que d’autre part, l’esprit réclamait un travail de conscience et de visualisation bien trop approfondi pour l’immaturité du jeune poète novice.

Au bout du vingtième vers, le poème achevé dans sa forme littéraire, le poète n’arriva plus à maîtriser cette présence qui avait envahi son esprit.

Devant la rupture du contact causée par son inexpérience, Pierre confia à Laurie qu’il vécut un déchirement brutal et foudroyant, plus dommageable encore par le fait que son esprit se trouva vidé de toute force humaine. La déchirure fut d’une force inouïe et jamais plus une douleur fut pour lui plus insupportable que celle-là, même une crise de coliques néphrétiques ne fait pas aussi mal. Ce fut la nuit absolue, son existence se trouva déconnectée de son énergie vitale.

Le poète reconnut que ce moment indélébile reste dans sa vie comme le plus douloureux qu’il ait jusqu’ici vécu. Se sentir rejeter violemment de ce monde supérieur sur lequel nous n’avons pas de prises, c’est prendre conscience d’être chassé par sa faute du paradis, d’être condamné à devoir vivre dans les limites étriquées de cette vie terrestre insipide et monotone.

La présence s’évacua vers le haut pour sortir de son esprit. C’est à ce moment là que Pierre se retrouva au fond de l’étude. Il vit parfaitement les moindres détails, tous ces dos tournés sur leurs pupitres, l’estrade du père qui surveillait l’étude et continuait sa lecture. Pierre se demanda ce qu’il faisait là et le souvenir de la déchirure se fit et il comprit. Il vit que son corps devait se trouver là dans cette rangée. Oui, c’était bien l’élève du fond de sa rangée qui était devant lui et qu’il pouvait toucher.

Alors il s’avança dans la rangée, les élèves ne le voyaient pas et aujourd’hui encore, il se souvenait qu’il avait jeté un coup d’œil pour savoir ce que chacun faisait. Enfin il arriva à sa place. Il vit son corps penché sur le pupitre. C’était bien lui ! Alors délivré de ce lourd fardeau, il exprima le désir de reprendre le cours normal de son existence humaine et il regagna son corps.

Il avait suffi qu’il exprime cette volonté pour qu’elle fut réalisée. Il sortit son corps de sa torpeur, il se retourna pour vérifier que les élèves derrière lui dans sa rangée étaient bien comme il venait de les voir. Tout correspondait.

Alors seulement le poète comprit qu’il venait de vivre non plus une visualisation mais une décorporation.

Pierre avoua avoir eu du mal à vaincre la peur qui avait résulté de cette expérience dramatique.

Il n’avait pas vu ou senti la présence de son ange gardien. Il avait été seul face à la présence au pouvoir redoutable. Mais une leçon put être tirée : il avait sollicité le contact avec la présence qui venait en lui et elle s’était manifestée. Ensuite, après son départ, une autre présence avait pu guider calmement, sagement, son esprit pour le ramener dans son corps. Ce n’était pas son ange gardien ou un esprit qui l’avait aidé mais une présence demeurant infailliblement en lui et qui n’avait rien à voir avec les autres.

Le jeune poète cherche à poser son dialogue de l’âme pour l’âme.

Le jeune poète comprit que sa recherche poétique ne pouvait pas se limiter à un dialogue de son esprit avec sa source et d’ailleurs laquelle des deux ?

Non, le chemin n’était pas celui qu’il avait imaginé, qu’il avait pu lire chez d’autres poètes et écrivains. A bien y réfléchir, pour maîtriser cette puissance qui avait submergé son esprit au point de l’arracher de son corps, le poète devait chercher à mieux connaître cette présence surnaturelle qui est attachée à demeure dans sa vie. Parce que celle-ci est de la même nature que l’autre qui était repartie, un dialogue entre elles pouvait s’établir plus calmement, avec moins de déchirures douloureuses.

La seule solution, c’est le dialogue de l’âme demeurant en nous avec l’âme générique, l’âme source résidant dans un univers supérieur. Par contre, maintenant qu’il connaissait la puissance phénoménale de cette source, il se préparerait bien mieux pour l’accueillir. 

Laurie comprit la raison pour laquelle Pierre avait tenu à ce que ce texte serve d’introduction à ce premier recueil de poésie. Elle se souvint de la volonté de Rimbaud de détruire ses premières poésies maintenant qu’il était devenu voyant. Pourquoi Pierre n’avait-il pas détruit lui aussi ses premières poésies puisqu’elles sont incapables de retracer l’expérience poétique vécue ?

Le poète jeta un regard courroucé à cette psychologue qui ne faisait que l’embêter. Pourquoi ? Parce qu’il était évident que le poète dans sa recherche de sa source, par les propos qui s’échappaient de ses lèvres, par ses méditations ou ses rêveries, avait une façon de vivre et de penser qui ne pouvait que surprendre son entourage surtout s’il se mettait en tête de justifier ses propos en de longues diatribes !

Parce qu’en sixième, tous dans l’internat le surnommaient du quolibet trouvé par le professeur de français : l’imbécile heureux ! Et cela ne s’était pas limité à ce genre de comportement. Un jour, il fallut bien montrer à cet entourage qu’il était capable de choses que les autres ne pouvaient faire.

Oui, s’il devait en dernier lieu se justifier, il pouvait démontrer qu’il était poète… en publiant alors ses poèmes, n’importe quel poème, surtout ceux où personne ne trouverait quelque chose à comprendre de cette expérience magnifique toujours inachevée ! Cela valait mieux que de ne pas pouvoir répondre à cette pression hostile inqualifiable d’un entourage stupide insensible rien qu’au dialogue de l’âme et de l’esprit ! Sans parler du dialogue de l’âme pour l’âme !

Et puis un peu plus tard, s’est posée la question de savoir comment dire à la fille que l’on aime et avec laquelle on veut vivre, que l’on est poète et que ce n’est pas parce que l’on se marie que l’on va arrêter de façonner sa vie aux dimensions de la poésie.

Tous les jours nous sommes amenés à actualiser nos raisons de vivre et nos raisons de mourir !

Le mariage ne dispense pas un poète de ce travail qui lui appartient depuis sa naissance et aujourd’hui, il n’y a plus de raison pour un jeune poète de refuser de se marier !

Donc, pour se présenter en tant que poète, Pierre trouva plus simple, au bout d’un moment, de donner un des exemplaires de son premier recueil à Françoise. Si après l’avoir lu, elle était prête à revenir vers lui pour continuer à l’aimer, alors la partie serait gagnée. Françoise ne pouvait ensuite que s’engager à respecter le travail poétique de son mari même si ce travail le conduit un jour à connaître le sort tragique de certains poètes que des puissants ne supportèrent plus et firent mourir pour les faire taire.

Ces raisons de garder les poèmes de sa jeunesse tiennent donc dans un pragmatisme affiché, une excuse toute faite, mais Laurie pouvait-elle lui en vouloir ? 

Sois sage ô ma douleur

Laurie fut satisfaite de ces premières réponses. Elle arrêta son interrogatoire tout en convenant avec son poète d’amant qu’il reprendrait le lendemain matin et les matins suivants, jusqu’à épuisement du sujet ! Pierre accepta le principe mais avant que Laurie ne s’habille, il tint à ponctuer son propos et à l’achever en lui chantant un poème de Charles Baudelaire en rapport direct avec cette douleur consécutive à ce déchirement que connaissent les poètes dans leurs relations avec leur source.

Il chantonna le poème ” Recueillement ” : ” sois sage, ô ma douleur et tiens toi plus tranquille ” et il mit toute son énergie pour traduire le désarroi, la supplique, la confiance, la révolte et enfin l’apaisement lorsque, comme un long linceul traînant à l’orient, le poète entend avec sa chère douleur, la douce nuit qui marche. Laurie écouta le poète déchirer sa voix lorsqu’il chanta ” ma douleur… viens par ici… loin d’eux ” !

La muse et son poète

Laurie apprécia que son amant se montre ainsi devant elle, tourmenté, fragile, soumis à cette douleur de l’exil du monde surnaturel, condamné à attendre la nuit, seul remède pour vaincre son énergie créatrice et contestataire et lui donner enfin la paix quand il se vêt de son linceul pour dormir sur cette terre tel l’endormi du monde céleste.

Comme Pierre, Laurie connaissait l’histoire du dernier Grand Cataclysme conservé dans les temples des bords du Nil et spécialement à Dendérah. Elle savait que le soleil se couche maintenant là où auparavant il se levait. C’est bien à l’orient que les peuples victimes de ce basculement de l’axe de la Terre ont vu pour leur dernière fois le soleil se coucher. Le long linceul des peuples disparus pour un poète initié à la Vie et à notre condition humaine sur la planète terre traine bien à l’Orient de notre humanité.

Laurie fut satisfaite que le jeune poète désarçonné par cette première épreuve douloureuse, ait pu trouver dans la lecture des autres poètes matière à comprendre sa situation et panser ses plaies. Cette mélodie que Pierre avait trouvée pour reprendre à son compte l’expérience de Baudelaire en ce domaine fut bien le remède qui lui permit de poursuivre son expérience poétique et Laurie, en elle même, trouva que cette manière de chanter le texte était une illustration bien plus significative et belle de la poésie que ce que Pierre avait pu dire sur Rimbaud lors de sa conférence.

Oui, c’est ainsi, sur ce lit, mal coiffé, à moitié nu, l’air penaud et tourmenté, qu’elle le préférait lorsqu’il se mettait à chanter la poésie, celle des autres inséparable de la sienne et Laurie se prit à imaginer qu’elle n’était pas uniquement la muse de ce poète-ci mais la muse de bien d’autres poètes. 

Songeuse, assise sur le lit à côté de Pierre, elle s’imagina et chercha à qui elle pouvait se rattacher elle aussi.

Elle ne serait pas Juliette, ni Yseult mais peut être bien Laure ! Oui, la belle avignonnaise aimée de Pétrarque, cette muse qui à travers la poésie d’amour de son amant avait déjà réussi à vivre avec lui sur terre ces moments de l’autre vie dans lesquels la fusion de l’âme soude les esprits et les personnalités dans une osmose bienheureuse. Laurie sentit qu’elle était à la veille de cette fusion et cela la remplit d’une chaleur vive et agréable.

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