Note sur Le rempart d’Obernai un matin d’hiver

Texte écrit également vers 17 ans, à Obernai, durant l’étude du matin.

Le thème est la dualité de ce monde et de notre condition humaine, le contraste entre l’obscurité et la lumière, le noir de la nuit et la blancheur de la neige, le chaud et le froid, la solitude du jeune poète et le monde des autres.

Ce texte est écrit avant la seconde décorporation qui arrivera à la fin de cette année là. Pour le moment c’est le début de l’année et la longue attente depuis la première décorporation se fait pesante. La condition humaine n’a pas encore basculée et la rencontre des mystères de la vie n’est encore qu’une interrogation hasardeuse.

Le rempart comporte des tours du moyen-âge et les maisons, des toits alsaciens pentus sur lesquels la neige a du mal à accrocher.

Dans la rue là-bas quelqu’un passe… quelques temps plus tard, un samedi matin, à la pâtisserie chez Régin, alors que nous séchions le cours de religion, je rencontrerai pour la première fois deux américains et ce sera mon premier contact direct avec ce continent.

A deux tables de la nôtre, Orson Welles, Anthony Perkins et Michel Piccoli prenaient leur petit déjeuner.

Nous étions les seuls dans la salle ce samedi matin vers 9h alors que nous dépensions nos dernières pièces de monnaie de la semaine pour un petit café. Nous savions qu’ils tournaient ” La décade prodigieuse ” au château de Saint Léonard et à la Léonardsau avec le metteur en scène Claude Chabrol.

Le contraste était saisissant entre nous les obscurs et eux les vedettes de cinéma en pleine lumière des projecteurs !

Piccoli et Perkins, debout à l’écart de leur table, discutaient avec fébrilité en anglais et Welles les ignorait occupé qu’il était à se goinfrer d’une douzaine au moins de croissants. Il était comme absent.

Un camarade voulut leur demander un autographe. Je m’y suis opposé. Pour moi, ils ne me donnaient pas l’image d’artistes, ils n’avaient rien à voir avec ma poésie. Nous n’étions pas du même monde et la seule intervention que j’aurais consenti à mener, cela aurait été de demander poliment à Michel Piccoli ce qu’il faisait avec ces deux lascars américains : l’un se goinfrait véritablement et ne vivait que dans cet instant égocentrique et pas forcément hédoniste, l’autre s’agitait dans une querelle absconse pour établir une quelconque primauté sur l’autre, le frenchie.

Aujourd’hui, dans mon souvenir, c’est Orson Welles qui a pris la place de ce passant… il n’a fait que passer. Un sage ne se comporte pas ainsi, même devant une douzaine de croissants chauds de chez Régin à Obernai.

Le camarade de Terminale aux cheveux longs et à la guitare a fait restaurer le rempart. La façade de l’internat est resté “dans son jus”. La dernière nuit de l’internat avant sa fermeture, l’abbé Ost… m’avait transmis le statut de chef de chambrée alors que je finissais mon année de Première et que les pensionnaires de Terminale étaient rentrés chez eux pour passer leur Bac. Il m’avait donné quelques conseils pour “tenir le groupe”.

Mais conscients que nous étions les derniers pensionnaires à vivre cette dernière nuit de l’internat, les camarades m’ont demandé comment nous allions célébrer cette ultime nuit. La réponse fut évidente et spontanée : une bataille de polochons !

Qui démarra aussitôt dans un chahut à faire vibrer les murs. Épuisés par cette débauche d’énergie, nous avons passé une nuit profonde. Le matin, après le petit-déjeuner et avant le départ pour le lycée, l’abbé me prit dans son bureau, tout sourire aux lèvres. Les yeux pétillants de malice, il me dit que mon comportement l’avait surpris, agréablement surpris car il ne m’imaginait pas en chef de bande dévoué à son groupe pour le mener à un chahut joyeux et débridé comme il sied d’en avoir de temps à autre dans les meilleurs internats d’adolescents.

Bref, il avait été derrière la porte du dortoir tout le temps de ce chahut et il avait été heureux que cette dernière nuit se déroule ainsi selon la tradition des internats les plus vivants et débordants d’énergie de vie.

Il était aussi heureux pour moi car il connaissait l’élève studieux, le jeune coureur cycliste mais aussi l’adolescent de condition modeste et boursier comme la plupart des pensionnaires. Me découvrir en meneur de bande écouté et suivi par tout le groupe, le tranquillisait pour la suite de mon parcours social. Lui aussi en tant qu’abbé était un formidable meneur de groupe et d’hommes. Savait-il que j’étais un jeune poète ? Cela se devine aisément chez une personne qui suit sa démarche initiatique et spirituelle et tous les deux nous étions sur ce chemin de vie.

Cette anecdote n’a pas pour objectif une comparaison quelconque avec un autre grand manipulateur de masse comme le fut Orson Welles.

Celui-ci vécut à la période de la Propagande introduite par le neveu de Freud, Edward Bernays. Il connut la propagande des dictateurs et des partis nazi, fasciste mais aussi celle du marketing des multinationales américaines.

Le jeune prodige passionné de théâtre et d’illusion vivait dans son monde, seul à table. Sa manière de se goinfrer avec les croissants chauds de chez Régin avait certes une dimension théâtrale mais sans aucune illusion. Les croissants ne disparaissaient pas autrement que dans sa bouche. Il vivait dans son monde or le jeune poète sait depuis le début de son cheminement qu’il doit participer au changement de ce monde, au changement de la Vie sur cette planète Terre et sur ce changement il n’a besoin d’aucune illusion ni de tragédie ni de comédie vaguement théâtreuses. Je n’avais aucune envie d’entrer dans son monde. En quittant l’internat et le rempart d’Obernai j’ai eu le plaisir de partager le monde de notre abbé Ost… Celui-ci a depuis une rue à son nom dans la ville, pas très loin du rempart…

Dernière remarque, ce rempart d’Obernai trouvera une place encore plus embellie lorsque je découvrirai l’histoire de la Décapole d’Alsace, celle de la période médiévale et de ses institutions politiques, économiques, sociales, culturelles, militaires. Et l’abbé trouvera une place éminente dans ma mémoire avec la découverte de l’histoire des Bénédictins et de leur conservation des connaissances des temples des bords du Nil et particulièrement du temple de Dendérah. Un autre abbé nous mariera au dessus d’Obernai, au Mont Sainte Odile, terrain d’entrainement assidu pour le jeune grimpeur cycliste d’alors.

 

 

 

 

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