Note sur D’un paresseux

Ce texte correspond au devoir que j’ai rendu lors d’une rédaction sur le travail. Ce devait être en 6ème ou en 5ème. Le professeur de français m’avait mis en zéro en m’expliquant toutefois qu’il ne compterait pas ce zéro dans la moyenne mensuelle.

Il m’avait donné ensuite un surnom : ” l’imbécile heureux “. Mais je préférais celui de mes camarades : ” le commandant “.

Dans cette institution privée, ce père enseignait le français et surtout il dirigeait la chorale de l’internat.

A ce moment là j’étais devenu le soliste pour remplacer le précédent dont la voix venait de muer. Nos relations étaient donc assez ambigües car je tenais à cette place de soliste et j’aimais monter avec ma voix de tête. J’utilisais mes émotions pour donner du corps et du rythme à ma façon de chanter, ce qui rendait mes interventions assez particulières et non prévues par le chef de choeur. Il ne savait pas à quoi s’attendre avec moi mais le plus souvent il était surpris et content du résultat obtenu qui sortait de l’ordinaire d’une chorale d’enfants.

Lors d’une dissertation suivante, il fallait choisir le métier que l’on voudrait faire plus tard.

Je me suis piqué au jeu et j’ai écrit que je voulais devenir prêtre, ce qui devait en principe l’enchanter ! J’ai rédigé un texte enthousiaste et percutant. A la fin j’ai terminé par le signe de la croix : au nom du père, du fils et du saint-esprit.

En rendant la copie, il s’est permis de la lire devant la classe qui s’est mise à rire car les camarades savaient très bien que jamais je ne voulais devenir prêtre et que j’avais bien du mal à suivre la discipline imposée par les pères. Ces rires lui ont permis de confirmer sa pensée. Il déclara qu’à la fin de ma copie, il avait fait automatiquement le signe de la croix. Il ajouta qu’en temps normal cette copie valait 20/20 car je m’étais employé pour rédiger des arguments fouillés avec un raisonnement d’une logique claire mais déterminée. Le style était enlevé et sans égal avec d’autres copies de la classe. Il ne pouvait pas mettre un zéro donc il ne l’a pas notée.

Je restais donc l’imbécile heureux de tout l’internat.

Une sorte de revanche s’est présentée le jour du Certificat d’Étude lors de l’épreuve de chant.

Je venais de quitter le poste de soliste attribué à un camarade plus jeune dont le chant était plus conforme à une manécanterie. Par contre pour entraîner la chorale dans un rythme plus “moderne” en utilisant le chant grégorien avec toute la liberté qu’il permettait dans un chœur, j’étais toujours présent et à la manœuvre, en faisant même parfois monter la chorale ou en la soutenant pour qu’elle ne baisse pas.

Un père présent pour nous encadrer lors de ce Certificat d’Étude, vint nous trouver pour nous dire que le jury avait souhaité pour l’épreuve de chant, faire chanter le soliste de la manécanterie du petit séminaire du diocèse en premier et moi en second. Cette manécanterie revenait de Rome où deux semaines plus tôt elle avait chanté un office en présence du pape. Le défi était d’importance mais mes camarades et ce père ne doutaient pas de mes capacités à surmonter ce défi pour la “gloire” de notre internat.

Il durent raviser leurs positions car au tirage au sort, le soliste du “camp adverse” qui prit le premier un billet, tomba sur la chanson profane de la Jeannette avec son panier de fleurs. Elle était facile. L’autre choix était forcément un chant patriotique et déjà je détestais devoir chanter la Marseillaise. Mais le jury avait choisi un chant plus particulier et moins connu, pourtant au programme de l’épreuve : le chant du Départ.

Dans notre groupe, devant ce tirage au sort, le doute avait pris le dessus devant ce manque de chance.

Bon, Chénier a composé un texte de circonstances avec un message particulièrement dur à entendre pour de nouveaux républicains mais ce message terrible est exact sur le plan historique. Sans leurs morts pour notre Liberté, nous n’en serions pas là et rien n’est acquis. Aragon écrira lui aussi ” Rien n’est jamais acquis à l’homme ni sa force ni sa faiblesse ni son cœur… il n’y a pas d’amour heureux”. Mais Aragon n’a jamais transpiré de la rencontre avec les mystères de la vie. Il est resté trop poète de salons et de circonstances… un peu comme Chénier et son chant du Départ. Victor Hugo sera plus démonstratif : “La liberté, c’est le but ; la paix, c’est le résultat.” Pas besoin d’histoires de cercueils !

Le soliste “adverse” avait une jolie voix mais sans relief. Il chantait juste mais sans émotion transmise. Sa prestation était classique pour un soliste.

Pour le battre, je devais justement chanter à ma manière et transmettre les émotions du texte comme tout poète sait naturellement le faire.

Je me suis appliqué particulièrement sur le passage ” tyrans descendez au cercueil” et je vois que les deux membres du jury automatiquement se sont agrippés à leur table devant le regard courroucé que je leur lançe. Visiblement ils se voient déjà descendre eux-mêmes au cercueil car probablement en tant que professeurs ou instituteurs, ils doivent s’avouer être particulièrement autocrates devant leurs classes et certainement être aussi de petits tyrans !

Devant eux, comme mes camarades me surnommaient, ils ont eu un “commandant” révolutionnaire qui appelle à la victoire sur nos ennemis, les tyrans !

J’y avais mis également la puissance des évènements tragiques de ma famille au cours de la seconde guerre mondiale, les incorporés de force en Russie puis en Normandie. Le souvenir de ce voisin parti à Narvik, revenu chez lui et incorporé de force en 1942, qui s’est évadé en Normandie et a rejoint les Forces Françaises Libres et l’armée De Lattre, puis est parti au Vietnam, est revenu des camps communistes Vietcong pour rejoindre aussitôt l’Algérie puis au bout de peu d’années, ivre du matin jusque la nuit tant les guerres l’ont détruit, est décédé misérablement dans l’indifférence générale et l’oubli de ceux qui ne veulent pas voir et surtout comprendre.

C’était aussi pour eux que je chantais “La République vous appelle, sachez vaincre ou sachez périr”, les soldats morts et ceux revenus et condamnés au silence par leurs proches, ces proches épris de lâcheté et d’ignominie que je voulais secouer autant sinon plus que Chénier en 1794 qui constatait la dérive bourgeoise de la Révolution et l’Empire qui allait suivre et clore cette aspiration de Liberté citoyenne.

Jusqu’à la fin de mon chant, ils ne bougeaient plus, stupéfaits devant la vigueur et la sincérité de ma déclaration patriotique.

Chanter que nous devons vaincre ou mourir n’avait déjà plus pour moi matière à crainte ou à peur. Ma première décorporation le soir à l’étude lors de l’écriture du poème Principes poétiques datait de quelques années et j’avais compris que la mort du corps charnel n’est rien tant que celui qui vit en nous et est le même en chacun d’entre nous… s’occupe de nous. Bref mon chant indiquait que je n’avais aucune peur de mourir, bien au contraire.

Ceci avait fini par jeter la stupeur parmi l’ensemble des personnes présentes. Et à la fin de mon chant, il ne se passa rien quelques secondes interminables. Puis les deux membres du jury, dans une synchronisation parfaite, ont commencé à m’applaudir de plus en plus fort. Les personnes présentes se sont alors déchaînées dans leurs applaudissements comme si je devais gagner à l’applaudimètre. L’autre soliste n’avait pas reçu d’applaudissements.

C’est ce qui advint bel et bien. Le jury déclara de suite que nous avions 10/10 chacun mais que moi, j’obtenais en plus les applaudissements du jury et des présents. Le soliste “adverse” repartit fort dépité de la tournure des évènements.

Par la suite, quelques pères vinrent en catimini me féliciter. Je n’étais apparemment plus l’imbécile heureux mais celui qui chante mieux que le soliste de la manécanterie du diocèse.

Je m’en suis tenu là, inutile d’expliquer qu’un poète maîtrise sa mélodie interne, le chant de sa source poétique, qu’il sait accompagner le chant de sa muse dans ses airs les plus célestes, qu’il sait retrouver le rythme et la mélodie utilisée par un autre poète dans l’écriture de son poème, etc…., etc.

Forcément un poète, toute sa condition humaine durant, n’a rien d’un paresseux et encore moins d’un imbécile même heureux, au contraire il déborde de vitalité et d’énergie de vie. Certes, une fois qu’il a réussi son initiation à travers une illumination… ou plusieurs. Arthur Rimbaud a bien composé les Illuminations, c’est dire ! Quant aux poètes maudits, ont-ils su chanter convenablement “tyrans descendez au cercueil ” ?

Les tyrans sont toujours là et certains prétendent qu’ils ont gagné pour nous soumettre à leur gouvernement mondial. De mon côté, c’est clair : ils vont descendre aux cercueils ! J’ai déjà été applaudi une fois pour l’avoir chanté juste, haut et fort !

Pour rester dans le domaine du chant et des envolées là-haut où je me sentais si bien, écoutez cette chanteuse russe et le texte de “Au bord de la rivière silencieuse”

Plutôt que cette confrontation avec le soliste “adverse” lors du Cert’if, j’aurais tant aimé rencontrer une soliste comme elle et tous deux sur scène chamarrer nos envolées vers ces cieux où nous sommes si bien en paix et en amour.

Dans nos réseaux de Vie, les institutions culturelles auront pour mission d’établir ces rencontres quitte à faire voyager ces jeunes de Russie en France ou de France en Russie ou ailleurs, là où ces rencontres doivent s’épanouir à la face de l’humanité… les tyrans descendus au cercueil, bien entendu !…. et chanté correctement !

Chanson lyrique célèbre, auteur de poésie et de musique Sergey Trofimov, chanteuse soliste : Ekaterina Shelehova.

La traduction du texte russe en français :

Derrière la rivière silencieuse, bouleau

La première fleur printanière va fleurir.

Et je vais faire un vœu plus simple

Et avec les yeux croisés vers l’Est.

Le ciel sera coloré d’aube cramoisi,

Et le soleil éternel se lèvera sur le monde,

Et un oiseau blanc survolera le sol

Et le pardon de Dieu ramènera du ciel,

Et un oiseau blanc survolera le sol

Et le pardon de Dieu du ciel apportera…

Et quelque chose de grand ouvrira le cœur,

Quelque chose que je ne peux pas embrasser avec ma vie.

Et ça deviendra calme et doux comme dans l’enfance,

Quand ma mère m’a fait un câlin,

Et ça deviendra calme et doux comme dans l’enfance,

Quand ma mère m’a fait un câlin.

Les prières sacrées couleront de larmes,

L’amour du Christ remplira la tristesse,

Et en ce moment, l’âme se touchera

Au Grand Univers nommé Russie.

Le site web de Ekaterina Shelehova.

 

 

 

 

retour vers ce poème

Poursuivre la lecture

Nouveau

Rimbaud : les illuminations

28 février 2022

Rimbaud dans ses premiers poèmes reste proche de la poésie parnassienne et officielle, adoptant une forme classique malgré la nature…

Peinture Grotte Nouveau

Principes poétiques

21 mars 2022

Les vains efforts d’une quête incertaineLa lumière d’une idée lointaineFugitives traces de ce malheurQui nous tenaille et opprime nos cœursLes mots me trahissent mon cœur s’en vaUne aigreur racle le fond de ma gorgePrémices de mon bienveillant trépasAvec le relent fermenté de l’orgeLes pas lourds des destinées m’aveuglentJe n’ose pas croire à tant de pitiéA […]

peinture de William Ranney, représentant un homme paraisseux Nouveau

D’un paresseux

21 mars 2022

Le travaille me rebute, je le haisJe rêve sans cesse d’un air tranquilleD’une moiteur douce qui sans arrêtAbrégerait mes efforts inutiles Ce n’est pas que je ne voudrais rien fairePourtant je désirerais travaillerMais pas à la manière de ces hèresQui du matin au soir ne font que peiner Rien sur cette terre ne m’intéresseTout ce […]